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Fenêtres sur le passé
1908
La mort de M. Homon-Kerdaniel
Le crime de Morlaix
Source : La Dépêche de Brest 6 juin 1908
Arrestation sensationnelle.
Nous avons annoncé que le cadavre de M. Homon-Kerdaniel avait été trouvé hier matin dans le bassin à flot, en face du cours Beaumont et que la mort, — le corps ne portant aucune trace de violence — paraissait accidentelle.
Mais voici que sa mort aurait été causée par une personne ayant intérêt à le faire disparaître.
Cette personne ne serait autre que Mme Anne-Marie Guyomar, 35 ans, née à Berrien,
femme divorcée de M. Homon-Kerdaniel.
De très fortes présomptions pèsent sur elle.
Elle aurait été vue mercredi soir vers dix heures, par deux personnes, un douanier et un pêcheur à la ligne,
se promenant, sur le quai, coté du cours Beaumont, avec M. Homon-Kerdaniel, et vers 11 heures ou 11h. 30,
revenant seule.
Interrogée jeudi matin après la découverte du cadavre, par M. Jégou, gendarme maritime, elle a répondu que son mari était chez elle la veille à dix heures et que depuis, elle ne l'avait plus revu.
La confrontation avec le corps de son ex-mari a eu lieu ce soir à l'hospice vers six heures, en présence du parquet, mais elle n'a donné aucun résultat.
Elle nie énergiquement être sortie mercredi soir sur le quai.
Elle n'a quitté son domicile, affirme-t-elle, que vers dix heures et quelques minutes pour vider son seau d'ordures dans le Queffleut, chemin de l'hospice.
M. Bichon, commissaire de police n'a pu rien obtenir d'elle.
— Je ne parlerai, a-t-elle dit, que devant le juge d'instruction.
M. Rossel, procureur de la République, a décerné contre elle un mandat d'arrêt et elle a été conduite, après la confrontation à l'hospice et une visite à son domicile, à la maison d'arrêt de Créac'h-Joli.
Une foule énorme stationnait devant son domicile.
Quand elle en est sortie, escorté par l'agent Jaffrennou, elle s'est retournée pour braver la foule.
L'année dernière elle avait été arrêtée à Paris, pour ivresse et port d'arme prohibée.
Elle a eu deux enfants de M. Homon-Kerdaniel, deux garçons de 14 et huit ans.
Depuis son divorce, une petite fille qui a maintenant six ans, lui est née.
Elle vivait ces temps derniers avec un représentant de commerce qui a disparu depuis 15 jours.
Coïncidence bizarre : M. Homon-Kerdaniel était recherché mercredi dernier par la police, pour aller à Créac'h-Joli, purger une condamnation à deux mois de prison pour ivresse.
S'il s'était promené en ville au lieu de rester chez son ex-femme, la police l'aurait cueilli et il aurait été sauvé de la mort.
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Source : La Dépêche de Morlaix 12 juin 1908
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Source : La Dépêche de Brest 22 juin 1908
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Source : La Dépêche de Brest 16 juillet 1908
L’accusée, Anne-Marie Guyomard, veuve Homon-Kerdaniel, est âgée de 34 ans (son mari, la victime, en avait 53) :
C'est une femme à la taille épaisse, blonde, aux traits empâtés ;
bien qu'habillée à la mode de la ville et sans aucune recherche, elle a la tournure un peu campagnarde ;
cependant sa physionomie n'est pas dépourvue d'intelligence et elle s'exprime avec facilité.
Elle est assistée de Me Le Hir, avocat, du barreau de Morlaix.
M. Le substitut Caous occupe le siège du ministère public.
Deux journées d'audience seront consacrées à cette affaire, qui ne comporte pas moins de 29 témoins.
Après les formalités d'usage, il est donné lecture de l'acte d'accusation qui résume ainsi les faits :
Le 4 juin 1908, vers six heures du matin, un sieur Le Boëtté, préposé des douanes à Morlaix, était avisé qu'un cadavre flottait dans le bassin, près du cours Beaumont.
II s'y rendit et ramena le noyé à terre.
Il s'aperçut qu'il était en présence du cadavre d'un inconnu qu'il avait vu, la veille, vers onze heures du soir se diriger vers le cours Beaumont, en compagnie d'une femme de forte corpulence, en cheveux et vêtue d'un corsage rouge.
Il avait vu cette même femme revenir, trois quarts d'heure environ après.
Le défunt fut rapidement identifié ;
c'était le sieur Homon-Kerdaniel, époux divorcé d'Anne-Marie Guyomarch, âgée de 34 ans.
Le médecin-légiste examina le corps et ne releva aucune trace de violence, à part deux légères ecchymoses au front, et il conclut à un suicide ou à un accident survenu quelques heures seulement avant sa découverte (absence de rigidité cadavérique).
Cependant, on apprit bientôt que Homon-Kerdaniel était ivre la veille ;
qu'il avait passé une partie de la soirée dans la maison habitée par son ancienne femme ;
qu’ils étaient sortis ensemble autour du bassin, à une heure avancée de la soirée.
L'enquête révéla ce détail beaucoup plus grave à savoir que Anne-Marie Guyomarch avait, il y a quelques mois, offert de l'argent, à une femme Pasquiou pour l'aider à noyer son ancien mari, quand il serait ivre ;
qu'elle avait renouvelé cette proposition le soir même du crime, et que, sur le refus qui lui fut opposé, elle répondit :
« Cela m'est égal, il sera noyé tout de même ; demain matin, tu entendras dire qu'il est noyé ! »
Enfin, le jeune Pierre Homon-Kerdaniel, fils de la victime, révéla à ses petits camarades que sa mère lui avait dit qu'elle avait poussé son père dans le bassin, ajoutant « que c'était tant mieux, qu'il ne se saoulerait plus ! »
Anne-Marie Guyomarch a toujours affirmé qu'elle n'était pas sortie et qu'elle n'est pas l'auteur du crime qu'on lui reproche.
Elle a même prétendu que, loin d'avoir sollicité le concours de la femme Pasquiou, c'est cette dernière, au contraire, qui lui aurait proposé de la débarrasser de Homon-Kerdaniel, ayant déjà réussi à empoisonner son mari et le mari d'une de ses amies.
La femme Pasquiou a protesté énergiquement et une enquête prescrite a révélé l'inanité des affirmations d'Anne-Marie Guyomarch.
Quoi qu'elle en dise, celle-ci avait intérêt à la disparition de son mari.
Celui-ci possédait 1.460 francs de rentes, dont l'accusée recevait 900 francs par la mort de son ex-époux ;
elle voyait donc ses ressources s'augmenter de 560 francs car elle est tutrice légale des enfants issus de son mariage.
Depuis longtemps, en outre, Homon-Kerdaniel avait manifestement le désir de vendre ou de placer en viager la fortune qui lui restait et cette résolution impressionnait vivement Anne-Marie Guyomarch.
Elle est, d'ailleurs, âpre au gain et, dans une procédure suivie contre elle à Paris, en 1907, il a été révélé par son amant qu'elle lui avait fait signer, sous menace d'un revolver, un testament en faveur d'un de ses enfants.
Les renseignements recueillis sur son compte la représentent comme violente, emportée ;
elle vit en concubinage et s'adonne à la boisson.
D. — Combien avez-vous d'enfants ?
R. — Trois.
D. — Vous étiez divorcée d'avec Homon-Kerdaniel ?
R. — Oui.
M. le président. — Je constate que le divorce a été prononcé à votre profit pour injures graves.
D. — Depuis le divorce avez-vous vécu en concubinage avec un sieur Méret ?
R. — Oui.
D. — Vous avez même eu un enfant ?
R. — Oui
D. — Vous avez été condamnée à Paris pour port d'arme prohibée ?
R. — Oui.
M. le président. — Cette condamnation est insignifiante en elle-même, mais si je la signale c'est parce qu'elle se rapporte à une scène qui donne une idée de votre caractère violent et emporté, et à laquelle fait allusion l'acte d'accusation.
L'accusée répond que tout cela est faux.
M. le président. — Il y a encore autre chose :
votre moralité n'est point bonne et, d'une façon générale, votre réputation est mauvaise.
L'accusée ne répond pas.
D. — Vous voyiez quelquefois votre ancien mari ?
R. — Oui, je lui donnais quelquefois à manger et le nettoyais.
M. le président. — Votre mari passait pour un brave homme ; il avait seulement le tort d'aimer à boire.
L'accusée. — Il a été condamné à deux mois de prison pour tentative d'assassinat.
M. le président. — C'est une exagération, on ne condamne pas à deux mois de prison pour tentative d'assassinat ; il s'agit sans doute de violences, mais cela ne change pas les renseignements recueillis sur lui.
Arrivons au fait :
Et M. le président résume brièvement, les charges de l'accusation.
M. le président. — Comment expliquez-vous la découverte de son cadavre ?
L'accusée. — Je n'en sais rien.
D. — Retenez bien ceci :
On a vu, le soir du crime, votre mari se diriger vers le cours Beaumont en compagnie d'une femme ;
puis, trois quarts d'heure après, on a va cette femme revenir seule.
Voyons, cette femme, n'était-ce pas vous ?
R. — Non.
D. — On a donné le signalement de cette femme :
Elle avait un corsage où le rouge dominait ;
est-ce celui que vous portez en ce moment ? (L'accusée est vêtue d'un corsage entièrement rouge.)
R. — Non, voici celui que je portais.
L'accusée déplie un corsage écossais de nuances rouges et jaunes enveloppé dans un morceau de papier.
M. le président la fait sortir pour revêtir ce corsage.
L'accusée ayant repris sa place à l'audience, M. le président poursuit l'interrogatoire :
D. — N'aviez-vous pas l'habitude, quand vous sortiez, de porter un petit sac à la main ?
R. — Pas toujours, mais souvent.
M. le président. — Eh bien, la femme qu'on a remarquée avait un objet de ce genre à la main.
D. — Tous les témoins qui ont fait ces remarques ont eu l'impression que cette femme c'était vous.
Comprenez-vous combien cela est grave î
R. — Ce n'est pas moi.
D. — Quand M. le commissaire de police vous a interrogée, vous avez refusé de répondre.
R. — Il disait que la femme qu'on avait aperçue c'était moi.
M. le président, pénétrant plus avant dans les faits, trouve que l'accusée est en contradiction avec ses colocataires sur l'emploi de son temps pendant la soirée du crime et il en arrive aux propos tenus par le fils de l'accusée.
D. — Votre petit garçon a dit, en effet, le jour de la découverte du cadavre, et devant des petits camarades, que c'était vous qui aviez jeté son père dans le bassin.
R. — C'est pas vrai, ces petits gamins-là sont des menteurs et m'insultent tous les jours.
D. — Une jeune fille, la petite Le Tallec, a entendu ces propos.
R. — La mère de cette jeune fille m'en veut.
D. — Voyons si votre petit garçon a rapporté ces propos, c'est que vous les avez tenus en sa présence ;
il n'a pas pu les inventer.
R. — Ce sont les parents de ses petits camarades qui lui ont fait la leçon.
L'accusée nie également, et avec la plus grande énergie, les propos très graves rapportés par la femme Pasquiou.
Celle-ci lui en voulait ; jamais elle ne lui a proposé de l'aider à noyer son mari.
D. — La veille du crime vous ne lui avez pas offert 200 fr. pour vous aider à noyer votre mari ?
R. — Jamais je ne lui ai dit cela ; c'est une invention.
D. — Pourquoi aurait-elle inventé cela ?
R. — Parce qu'elle m'en voulait ;
c'est elle qui m'avait proposé de noyer mon mari, et c'est parce que je l'ai accusée de cela qu'elle a voulu se venger.
D. — Vous aviez intérêt à faire disparaître votre mari T
R. — Oh ! Non.
D. — Vous ne saviez pas qu'il avait l'intention de placer ce qui lui restait de sa fortune en rentes viagères ?
R. — Du tout.
D. — Vous n'avez rien à ajouter pour votre défense ?
R. — Rien.
Dans tout le cours de cet interrogatoire, l'accusée ne s'est pas démontée un seul instant, rien dans ses gestes, ni dans les muscles de son visage ne trahissait la moindre émotion.
Voici, en substance, les principaux témoignages :
— M. Jégou, gendarme maritime à Morlaix, ne sait que peu de chose sur l'affaire.
Il a simplement constaté l'état du cadavre et reçu la déclaration de M. Boëtté, proposé des douanes, et celle de l'accusée.
Celle-ci, interrogée sur l'emploi de son temps, après avoir nié être sortie de chez elle après dix heures du soir, finit par avouer qu'elle était en effet sortie à cette heure, mais pour vider les eaux sales.
— M. Bichon, commissaire de police, résume brièvement les ternies de l'enquête à laquelle il s'est livré.
Détail à retenir :
Quand l'accusée sortait en ville, dit M. Bichon, elle portait toujours à la main un petit sac en cuir ;
or, ajoute-t-il, M. Boëtté a déclaré que la femme qu'il avait aperçue sur le quai, le soir du crime, portait un objet à la main, tel qu'un filet.
— M. le docteur Bodros, qui a examiné le cadavre le 4 juin, sur la cale voisine des écluses du bassin à flot, quelques instants après qu'on l'eût retiré de l'eau, n'a relevé aucune trace de blessures ou violences, si ce n'est deux petites ecchymoses très légères au-dessus du sourcil droit, qu'on peut attribuer au frottement de la tête contre la berge quand on l'a traîné sur la cale. ,
Dans ces conditions, l'honorable expert conclut que la mort était due à un accident ou à un suicide.
Sur interpellation : « D'après moi, la mort devait remonter à onze heures du soir. »
— Auguste Sourimant, charretier, déclare :
« Le 3 loin, vers 10 h. 30 ou onze heures du soir, j'ai vu un homme et une femme, de même taille et de même corpulence que l'accusée, se diriger du côté du cours Beaumont ;
un bon moment après, la femme est revenue seule. »
Ce témoignage est confirmé par les nommés Guillaume Botrel, tailleur de pierres ;
François Teurnier, garçon pharmacien, et François Breton, apprenti plâtrier ;
une seule divergence existe sur la coiffure de la femme, les uns disant qu'elle avait une coiffe, d'autres qu'elle n'en avait pas.
Nous arrivons au point le plus intéressant du débat.
— Jules-Mathieu Le Huec, 11 ans, dit en résumé :
« Le 4 juin au matin, sachant que Homon-Kerdaniel était noyé, j'ai demandé à son fils Pierre où était son père ;
il m'a répondu que sa mère l'avait poussé dans le bassin.
Je lui ai demandé s'il ne regrettait pas son père ;
il a dit que non, que c'était tant mieux. »
— Lucien Marzin, 9 ans, rapporte les mêmes propos.
— Françoise Le Tallec, 12 ans, dépose dans le même sens.
Elle a entendu le petit Pierre Homon dire à Marzin et aux frères Mathieu que c'était sa mère qui avait jeté à l'eau le père de son grand frère.
Sur interpellation :
« Pierre disait que c'était tant mieux, qu'il était content ».
— Pierre Homon-Kerdaniel, âgé de 8 ans et demi, fils de l'accusé, est ensuite introduit.
Cet enfant revient sur sa première déposition et nie avoir dit à ses camarades que sa mère avait jeté son père dans le bassin.
— Jeanne-Marie Le Coz, veuve Cadran, débitante, a entendu la femme Branellec tenir le même propos chez elle.
— Guillaume Bothuon est encore plus explicite :
« Le 5 juin, dit-il, je me trouvais avec Piron quand la femme Branellec nous dit, en parlant de la femme Pasquiou :
« Voilà une g... qui m'a gardé mes effets ;
« si elle ne me les rend pas, je vais la faire coffrer, car, il y a quelque temps, elle m'a proposé 50 francs pour jeter à l'eau l'ancien mari de la femme Homon. »
D'après le témoin, la femme Branellec aurait répondu qu'elle aimait mieux boire un verre de plus que de faire de pareilles sottises.
— Philomène Le Balc'h, femme Branellec, déclare qu'il y a environ cinq mois, la femme Pasquiou, la prenant à l'écart, lui fit la proposition suivante :
« Si tu veux gagner 50 francs, tu n'as qu'à me donner un coup de main pour noyer Homon-Kerdaniel ;
une fois que nous l'aurons enivré, c'est l'affaire d'un instant ; une poussée, et à l'eau ! »
L'accusée. — C'est un mensonge ; je n'ai fait aucune offre à personne.
Je ne suis pas responsable de ce que la femme Pasquiou a pu dire au témoin, car elle m'en voulait pour bien des choses.
Le témoin ajoute qu'elle répondit à la femme Pasquiou qu'elle préférait vivre honnêtement que de commettre un crime.
La déposition de Marie-Yvonne Jaffrenou, femme Pasquiou, est très longue ;
nous n'en retenons que ce détail important, à savoir que l'accusée lui aurait proposé de noyer son mari en cherchant une autre personne qui l'aurait aidée ;
elle aurait offert à chacune 100 francs comptant et 100 francs une fois le coup fait.
Autre détail plus grave :
Le 3 juin, vers 8 h. 30 du soir, ajoute le témoin, l'accusée est venue chez moi avec une bouteille d'eau-de-vie ;
nous en avons bu, puis elle m'a offert de l'accompagner pour noyer son mari, moyennant 200 francs ;
elle me montra même son porte-monnaie.
Je refusai, à quoi elle me répondit :
« Ça m'est égal ; il sera noyé tout de même ; demain matin, tu entendras dire qu'il est noyé. »
Sur interpellation :
« Le 5 juin au matin, l'accusée m'a dit qu'elle allait chercher un avocat et le maire de Ploujean ;
elle avait l'air hors d'elle-même.
De suite, j'eus l'intuition qu'elle avait tué son mari. »
L'accusée. — C'est la méchanceté qui lui fait dire tout ça.
Le témoin. — Je dis la vérité.
L'accusée. — C'est la vengeance qui la fait parler.
— Françoise Le Jeune, femme Le Dantec, dit que la 3 juin, à dix heures du soir, Homon-Kerdaniel dormait dans l'escalier ;
elle ignore à quelle heure il est parti, mais elle affirme ne pas avoir entendu quelqu'un sortir après que la femme Homon fut rentrée.
Sur interpellation :
« Elle avait un corsage écossais, où le rouge dominait. »
Sur interpellation :
« La femme Homon est une drôle de personne que je n'ai jamais voulu fréquenter. »
— M. Le Febvre, avocat, déclare qu'il a plusieurs fois reçu à son cabinet Homon-Kerdaniel, qui l'entretenait, depuis son divorce, de l'inconduite de sa femme et du sort de ses enfants, dont il semblait se préoccuper vivement.
C'était un ivrogne invétéré, mais très honnête homme au fond.
M. Le Febvre rapporte en outre l'idée que le défunt aurait eue de placer en viager les biens qui lui restaient,
et qui devaient représenter de 25.000 à 30.000 francs ;
l'accusée aurait conçu, de ce projet, un très grand émoi.
— François Le Jeune, fendeur de bois, rapporte certains propos tenus devant lui par la femme Pasquiou.
Celle-ci se serait notamment vantée devant lui d'avoir empoisonné son mari, et cela à propos de Homon-Kerdaniel ; elle disait qu'il n'était cas difficile de se débarrasser d'un mari, car elle s'était aussi débarrassée du sien.
L'audience est levée à 7 h. 45 et renvoyée à demain, huit heures.
Source : La Dépêche de Morlaix 18 juillet 1908
Tous les témoins ayant été entendus la veille, M. Caous se lève pour prononcer son réquisitoire.
« Un misérable ivrogne, être faible et sans volonté, et une femme cupide et sans moralité, il n'en faut pas davantage, dit-il, pour faire une victime et une criminelle. »
Après avoir dépeint le caractère emporté, volontaire, et la triste moralité de l'accusée, l'organe de l'accusation entre dans le vif du débat.
Pour comprendre un crime, dit-il, il faut en comprendre les mobiles et il montre l'état d'âme ;
de la veuve Homon-Kerdaniel, son intention criminelle se révélant d'une façon persistante dans le marché infâme proposé par elle à certains témoins pour se débarrasser à tout prix de son ancien mari ;
celui-ci cependant ne la gênait guère, mais sa disparition accroîtrait ses revenus ;
le mobile du crime c'est donc le gain.
M. le substitut Caous passe ensuite en revue les charges de l'accusation, il les met en valeur avec beaucoup de logique et de netteté et n'a pas de peine à démontrer la culpabilité de l'accusée qui ressort, dit-il, de l'ensemble des témoignages.
« C'est un crime qu'il faut réprimer, dit-il en terminant, car il importe de réprimer tout ce qui est sans excuse et c'est confiant dans votre esprit de sagesse et de justice que je remets le sort de cette femme entre vos mains. »
M. Le Hir, du barreau de Morlaix, présente ensuite la défense de la veuve Homon.
« Je suis convaincu, dit l'honorable défenseur, que cette affaire a été singulièrement grossie et dénaturée au début ;
en effet, dès que la nouvelle se répandit dans la ville de Morlaix, l'opinion publique s'emballa, remplaçant les données de la justice par des hypothèses qui allaient jusqu'à mettre la responsabilité du crime sur des personnalités des plus honorables. »
Après avoir ainsi fait allusion aux rumeurs accusatrices, Me Le Hir reprend à son tour les faits dont il rétablît la mise au point ; puis il examine les charges de l'accusation, les discute et les commente.
Envisageant la question de la mort par une poussée criminelle, il signale les difficultés de cette opération dans cet endroit entouré d'obstacles et fréquenté ;
quant au signalement de la femme, c'est une banalité, rien de plus fragile et surtout de plus dangereux comme présomption ;
la concordance des heures n'est pas davantage établie par l'accusation ;
personne n'a vu l'accident, personne ne sait à quel endroit précis il a pu avoir lieu ;
et quand même il serait établi qu'à un moment donné une idée criminelle a germé dans le cerveau de l'accusée, rien ne permet de donner créance a une hypothèse plutôt qu'à une autre.
L'honorable défenseur ne veut pas s'arrêter au témoignage du petit Homon, à ce témoignage d'enfant si variable et si fragile et fait bon marché des déclarations de certains témoins, notamment de la veuve Pasquiou dont la moralité déplorable suffit pour mettre les jurés en garde contre la valeur de ses déclarations.
Me Le Hir dit un mot de la question d'intérêt qui n'est pas, dit-il, le moins du monde établie et s'élève contre les accusations portées sur la conduite et la moralité de sa cliente qui, si elle a des défauts, a aussi d'excellentes qualités.
Rien n'est prouvé, dit-il en terminant, cette affaire ne contient que des hypothèses et des vraisemblances et ce n'est pas sur des hypothèses et des vraisemblances qu'on peut étayer une condamnation.
Après quelques minutes de délibération, le jury rapporte un verdict d'acquittement.
La veuve Homon-Kerdaniel sourit en entendant la lecture du verdict, qui lui rend la liberté.
La session est close.