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Fenêtre sur le passé
1900
L'exploitation des Paysans
CHRONIQUE AGRICOLE
Source : LE FINISTERE janvier 1900
L'exploitation des paysans.
Plus que jamais, depuis quelque temps, les campagnes sont infestées de filous qui, par des moyens ingénieux, escroquent les malheureux cultivateurs .
Il convient de les mettre sérieusement en garde et de leur signaler quelques-uns des trucs employés par cette engeance.
Avertis et éclairés, ils pourront alors se garder utilement.
Il y a d'abord les marchands d'engrais falsifiés.
Les fraudes sont de diverses natures ; tantôt, lorsqu'il n'y a pas de garantie écrite dans le contrat de vente,
c'est la qualité et le dosage des divers éléments constitutifs qui forment le bénéfice du marchand, et,
s'il y a garantie, c'est le prix exagéré qui fait le boni.
On signale, notamment, de diverses communes de la Haute-Saône, du Nord et du Pas-de-Calais, des victimes
qui ont payé 22 fr. les 100 kilogrammes d'engrais, dont la valeur réelle était de 6 fr. 60, soit un écart de 15 fr. 50 par 100 kilogrammes .
Un fait plus extraordinaire encore est celui-ci, raconté par M. Bérengor, professeur d'agriculture
dans le pays de Gex.
Il parait qu'un commis-voyageur a jeté son dévolu sur cette région pour aller offrir aux cultivateurs,
de l'extrait de fumier d'Amérique !!
Il raconte sérieusement que le Nouveau-Monde n'emploie pas le fumier de ferme et qu'un industriel a réussi
à extraire de ce fumier tous ses éléments fertilisants et en faire une préparation analogue
à l'extrait de viande Liebig.
L'extrait de ce fumier de ferme a, selon ce charlatan, une puissance extrême de fertilisation
et il l'offre au prix de 28 fr. les 100 kilos.
C'est pour rien.
Plus de fumier à transporter au loin ou en montagne, quelques sacs seulement d'une matière inodore et très maniable à répandre , et de plantureuses récoltes s'ensuivront.
C’est tentant, alléchant, on en achète.
Or , il s'est trouvé qu'après examen de l'extrait du fumier d'Amérique, un chimiste a fait connaître que ce prétendu extrait n'était autre que de la
kaïnite de Stassfurt valant 6 à 7 fr. les 100 kilos ; que les acheteurs ont été doublement volés, d'abord parce qu'ils ont payé 28 fr. ce qui ne valait que le quart au plus, on second lieu parce qu'ils ont, avec confiance, répandu ce seul et mirifique engrais qui n'a eu que fort peu ou pas d'action sur les récoltes.
Ailleurs, ce sont des gens qui cherchent à placer des aliments concentrés
pour le bétail.
La composition, bien entendu, reste secrète, mais quels résultats on en obtient !
Avec 5 centimes par jour pour un veau ou un porc, 10 centimes pour un bœuf ou une vache,
l'engraissement est rapide, infaillible !
Et cela coûte 75 centimes le kilog !
Or, ce produit, analysé, contient 70 % de fécule, le reste est de l'alumine.
II vaudrait 6 centimes le kilog s'il était débarrassé de son alumine, mais ce dernier corps minéral
ne pouvant produire, en proportion aussi élevée, que des dérangements intestinaux,
il s'ensuit que la fameuse farine à engraisser est plus nuisible qu'utile.
Un procès qui s'est récemment plaidé à Paris et dont le Finistère a parlé, a démontré clairement le danger de ces achats faits à l'aveuglette par les cultivateurs.
Il s'agissait d'un fermier qui, séduit par le boniment du marchand, avait acheté, pour 400 francs, 200 kilogrammes d'une farine concentrée destinée au bétail.
Or, un expertise décidée par le tribunal a démontré que le produit en question n'était qu'une farine grossière valant tout au plus 20 francs les cent kilogrammes.
L'acheteur l'avait payée deux francs le kilogramme, c'est-à-dire plus cher que la viande !
Dans le même genre, il y a les vendeurs de poudres contre les insectes, de liquides contre les maladies des plantes, de céréales falsifiées, de fourrages nouveaux à effets inespérés; il y a même des vendeurs à lots qui font payer 700 francs ce qui en vaut 500, des vendeurs d'ouvrages avec primes qui savent enlever par surprise
la signature d'engagements draconiens, il y a les marchands de chevaux inutilisables,
dont ils savent dissimuler les vices rédhibitoires,
il y a les marchands de remèdes pour le bétail et les marchands de toile.
Voici deux trucs employés par les escrocs de ces dernières catégories :
Deux individus très corrects, confortablement installés dans une voiture de louage, se rendent à la mairie
de chaque commune, et, sous prétexte de distribuer un remède contre la fièvre aphteuse,
se font donner les noms de tous les cultivateurs dont les bestiaux sont contaminés.
Cette liste en main, ils se présentent dans les fermes et, sur un ton qui n'admet pas d'observations, ils constatent l'identité du fermier et se font présenter les bêtes malades.
Pensant qu'il a affaire à des inspecteurs chargés d'une mission du gouvernement, le brave cultivateur
ne songe même pas à réfléchir ; il s'empresse de conduire aux étables et dans les champs ces personnages importants qui commandent avec tant d'assurance et semblent agir de concert avec l'administration préfectorale et municipale.
Après avoir examiné les bestiaux tout en parlant de manière à confirmer le propriétaire dans son erreur,
nos individus hochent la tête.
« En effet, disent-ils, vos animaux sont gravement atteints ! »
Ils regardent d'un air pas commode le paysan confus qui baisse la tête, le réprimandent même au besoin
pour avoir laissé prendre un tel développement à l'épidémie, et, enfin, lui remettent plusieurs flacons de liquides et de poudres avec des recommandations précises et rigoureuses pour leur application.
Naturellement, il faut payer un bon prix cet achat quasi-forcé, car, comme dit l'un de ces messieurs ,
le gouvernement donnait d'ordinaire ces remèdes pour rien, mais cette année, en présence du développement
de l'épidémie, il est forcé de les remettre contre de l'argent.
Mal avisé serait le cultivateur qui se ferait tirer l'oreille, car ces messieurs constateraient immédiatement
son refus par écrit, en parlant des bestiaux qu'ils ont fait abattre, disent-ils, dans les fermes voisines.
Le bon fermier s'exécute donc presque toujours, car la farce est admirablement jouée par des acteurs
ayant un aplomb incroyable.
Voici maintenant le truc du marchand de toile, très pratiqué en ce moment, et qui nous a été indiqué
par plusieurs correspondants :
Des camelots arrivent dans une localité avec une voiture bondée de marchandises de toutes sortes.
Ils s'établissent sur une place, commencent leur boniment et vendent d'abord, à un bon marché dérisoire, quelques coupons d'étoffes, en ayant grand soin de faire remarquer que le prix est non pas du mètre,
mais du morceau de plusieurs mètres tout entier.
Puis, sans autre préambule ni distinction, on passe à la toile pour draps de lits.
À combien le drap ?
Ce n'est pas 100 fr., 50fr., 20 fr., 10 fr., 5 fr., c'est 4 fr. !
Et les ménagères d'en acheter, croyant que la vente à bon marché et au morceau continue.
Elles veulent payer, on refuse, on prend simplement leur nom et leur adresse, on les renvoie à la fin de la vente, tout en les laissant se livrer de la marchandise ; autrement, dès le premier achat, la mèche serait éventée.
La fin de la vente arrive, les acheteurs viennent payer, mais alors, ce n'est plus 4 fr. le drap, c'est 4 fr. le mètre,
et il y en a trois au drap que les camelots prétendent avoir vendu, soit par drap 12 fr. au lieu de 4 fr.
On se récrie, les camelots menacent les malheureuses de l'huissier, du commissaire, des gendarmes :
celles qui ont peur, ce sont les plus nombreuses, et elles suffisent pour assurer le bénéfice quotidien
de ces malandrins, paient ; les plus avisées résistent, et envoient promener marchandise et marchands.
Et vite les camelots filent pour aller, la farce jouée, recommencer ailleurs.
Voilà nos lecteurs prévenus.
Ils ne pourront assez se tenir en garde.
Et, en ce qui concerne les marchands d'engrais et de drogues, nous ne saurions trop les engager à se défier
des produits soi-disant merveilleux que leur offre le commerce.
Ils ne devraient rien acheter, au moins, sans obtenir du vendeur une analyse garantie du produit.
Si elle leur était donnée — et j'en doute — elle les éclairerait souvent sur l'insignifiance de la marchandise.