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Fenêtres sur le passé

1897

La loi sur les beurres

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Source : La Dépêche de Brest 26 avril 1897

 

M. Henri Saquier publie dans la République française le très intéressant article suivant :

 

Le cabinet de M. Méline a réussi, dans les dernières semaines qui ont précédé les vacances de Pâques,

à faire adopter par le Parlement plusieurs lois d'un intérêt capital pour l'agriculture française.

Sans rappeler la loi des sucres, qui a été une mesure de défense contre l'étranger,

il suffit de citer la loi sur les vins artificiels et celle sur les beurres.

 

Sous des formes différentes, ces deux dernières lois tendent au même but :

Prémunir aussi bien les consommateurs que les producteurs contre les fraudes éhontées commises à leur détriment, rendre aux vins et aux beurres français leur légitime réputation que ces fraudes tendaient à compromettre

au-delà de nos frontières, tel est le double objet de ces deux lois.

L'une et l'autre seront aussi efficaces pour le commerce français

que pour la production.

C'est pourquoi, lors de la discussion, on a pu constater

ce phénomène, peu commun, les représentants les plus légitimes

du commerce loyal se sont unis, soit aux viticulteurs,

soit aux agriculteurs producteurs de beurre, pour réclamer les mesures qui leur étaient nécessaires.

 

La loi sur les vins artificiels a été promulguée, il y a quelques semaines.

Quant à la loi sur les beurres, elle vient d'être publiée

au Journal officiel ;

nous devons en expliquer les principales parties.

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Il n'y a pas à revenir sur l'urgence de cette nouvelle loi.

On sait que, depuis une vingtaine d'années, une nouvelle industrie, celle de la margarine,

s'est développée dans de très grandes proportions ;

ses produits, s'ils portaient leur vrai nom au sortir des usines, le perdaient rapidement et n'arrivaient

aux consommateurs que mélangés avec le beurre dont ils diminuaient ainsi la qualité.

Ces fraudes ont d'ailleurs pour résultat de diminuer la valeur des beurres purs, par suite du bas prix auquel

on mange les mélanges frauduleux.

La conséquence est que les beurres français, les plus fins du monde, ont été dépréciés partout ;

on a vu, sur les grands marchés étrangers, notamment à Londres, nos premières marques délaissées au profit

de celles d'autres pays, moins bonnes, mais se présentant avec de plus grandes garanties de pureté à raison

des lois sévères édictées dans ces pays.

Les plaintes légitimes de nos cultivateurs avaient déjà provoqué

la loi de 1887, destinée à punir la fraude,

quand elle était légalement constatée.

Mais la difficulté de saisir cette fraude a frappé d'impuissance

les mesures de simple répression.

C'est pourquoi on a dû recourir à des dispositions préventives :

tel est le but de la loi du 16 avril 1897, qui remplacera désormais

la loi du 24 mars 1887.

 

Les principales dispositions de la nouvelle loi sont les suivantes :

Séparation absolue de la fabrication et du commerce du beurre

et de la margarine ou des produits analogues, emploi de marques

et d'emballages spéciaux pour la margarine,

surveillance de la fabrication de la margarine

et du commerce du beurre.

Mais, pour que ces mesures fussent réellement efficaces,

il fallait donner préalablement une définition légale du beurre

et de la margarine.

Elle fait l'objet des deux premiers articles de la loi.

 

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L'article 1er interdit de « désigner, d'exposer, de mettre en vente, d'importer ou d'exporter, sous le nom de beurre, avec ou sans qualificatif, tout produit qui n'est pas exclusivement fait avec du lait ou avec l'un et l'autre,

avec ou sans sel, avec ou sans colorant ».

 

Le beurre étant ainsi bien défini la loi donne le nom de margarine à « toutes les substances alimentaires autres

que le beurre, quelles que soient leur origine, leur provenance et leur composition, qui présentent l'aspect du beurre

et sont préparées pour le même usage que ce dernier produit ».

La margarine ainsi définie ne pourra être présentée au public que dans son état naturel,

c'est-à-dire sans addition de matières colorantes.

Les fabricants de beurre ne pourront ni fabriquer ni détenir

de la margarine ;

la même interdiction s'applique aux marchands de beurre.

En outre, des inspecteurs, et au besoin des experts spéciaux, nommés par le gouvernement, auront le droit de pénétrer

dans les locaux où on fabrique pour la vente, dans ceux

où l'on prépare et vend du beurre, d'y prélever des échantillons

de la marchandise fabriquée, préparée, exposée, mise en vente ou vendue comme beurre.

Ils peuvent de même prélever des échantillons en douane ou

dans les ports ou dans les gares de chemins de fer.

 

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Voilà les mesures qui s'appliquent au commerce et à la fabrication des beurres.

Quant à celles qui s'appliquent à la margarine, elles ne sont pas moins précises.

 

Les fabricants de margarine sont tenus de faire une déclaration préalable, en outre, les locaux dans lesquels

on fabrique ou on conserve un dépôt, de même que ceux dans lesquels on vend de la margarine ou

de l'oléo-margarine, doivent porter une enseigne indiquant, en caractères apparents d'au moins 30 centimètres

de hauteur, les mots : « fabrique, dépôt ou débit de margarine et oléo-margarine ».

Les fabriques clandestines ne pourront ainsi se constituer, d'autant plus que des pénalités très sévères

sont indiquées contre les délinquants.

 

Les fabriques de margarine seront soumises à la surveillance d'inspecteurs nommés par le gouvernement,

et dont le traitement sera à la charge des établissements surveillés.

Ces inspecteurs ont pour mission de veiller sur la fabrication, sur les entrées de matières premières,

sur la qualité de celles-ci et sur les sorties de margarine et d'oléo-margarine.

Ils ont le droit de s'opposer à l'emploi de matières corrompues ou nuisibles à la santé et de rejeter de la fabrication les suifs avariés.

Ils peuvent déférer aux tribunaux les infractions aux dispositions de la loi.

Pour l'exécution de leur mandat, ils peuvent pénétrer en tout temps dans tous les locaux des fabriques de margarine et

d'oléo-margarine soumises à leur surveillance, dans les magasins, caves, celliers, greniers y attenant ou en dépendant,

de même que dans tous les dépôts et débits de margarine et d'oléo-margarine.

 

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Le transport, la mise en vente, le débit de la margarine forment également l’objet de prescriptions très précises.

C’est ainsi que les fûts et le récipients servant au transport doivent porter, sur toutes leurs faces et en caractères apparents et indélébiles, le mot « margarine » ou « oléo-margarine ».

Dans le commerce de gros, les récipients devront, en outre, indiquer en caractères très apparents le nom et l’adresse du fabricant.

 

Dans le commerce de détail, la margarine ou l'oléo-margarine doivent être livrées sous la forme de pains cubiques avec une empreinte portant sur une des faces, soit le mot « margarine », ou oléo-margarine », et mise dans une enveloppe portant en caractères apparents et indélébiles la même désignation ainsi que l'adresse et le nom du vendeur.

Lorsque ces pains seront détaillés, la marchandise sera livrée dans une enveloppe portant lesdites inscriptions.

 

Enfin, la margarine et l'oléo-margarine ne pourront être introduites sur les marchés qu'aux endroits spécialement désignés à cet effet, par l'autorité municipale.

La quantité de beurre contenue dans la margarine mise en vente, que cette quantité provienne du barattage du lait ou de la crème, avec l'oléo-margarine, ou qu'elle provienne d'une addition de beurre, ne pourra dépasser 10 %.

 

Les inspecteurs désignés plus haut devront se livrer au prélèvement des échantillons, dans les débits ou sur les marchés, pour la margarine comme pour le beurre.

 

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Telles sont les mesures prises pour mettre le consommateur en garde contre les fraudes et pour lui faire connaître

la nature de la marchandise qu'il achète.

En effet, l'absence des indications ordonnées par la loi implique que la marchandise est du beurre.

 

Les margariniers se sont plaints amèrement de ce que ces mesures aient pour but de détruire leur industrie.

Cette accusation est absolument sans fondement.

En effet, si leurs produits se recommandent, comme ils le disent, aux consommateurs, ils devraient se réjouir

de ce que ces produits trouvent désormais un état civil qui leur manquait jusqu'ici.

Ceux-là seuls qui ont la prétention de s'enrichir avec la fraude peuvent se plaindre de la nouvelle loi.

 

Quant aux cultivateurs, ils accueillent la loi avec une vive reconnaissance.

Ils savent le plus grand gré à M. Méline de la vigueur qu'il a déployée, dans cette circonstance encore,

pour sauvegarder leurs intérêts si gravement compromis.

Ils comptent que les mesures complémentaires qui incombent au gouvernement seront prises sans délai

et que la loi sera appliquée rigoureusement.

Leur espoir ne sera certainement pas déçu.

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