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Fenêtres sur le passé

1896

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La reine des sardinières

Paysages bretons gaston deschamps _01.jp

« J'entre dans une des « usines » où les pêcheurs,

après leurs campagnes, apportent leur butin. »

 

« Très aimablement, le directeur m'explique les diverses phases

par où passe la sardine avant d'être expédiée, en boîtes de fer-blanc,

aux épiciers qui nous la débitent.

Voici l'atelier de d’étêtage, l'endroit où le poisson est décapité et vidé.

Puis, quand les sardines ont séjourné une heure durant

dans la saumure, on les étale sur des grilles en fil de fer galvanisé

afin de les laver encore.

Cette opération s'appelle le passage au bleu.

Ensuite, on procède au séchage, soit en plein air, soit dans des étuves.

Alors commence la cuisson rapide dans l'huile bouillante. »

 

« C'est dans un atelier de friture que j'ai vu la plus belle fille

dont puisse s'enorgueillir la cité sardinière de Concarneau.

Un fourneau de brique est un trône bien étrange pour une divinité.

Et la blanche écume de la mer vaut mieux, pour entourer Aphrodite,

que l'ébullition de l'huile d'olive.

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Source : La Dépêche de Brest 14 septembre 1896

 

De Quimper, M. Gaston Deschamps s'est rendu à Bénodet, puis au pays de la sardine, Douarnenez et Concarneau, où on lui a montré la reine des sardinières.

 

« Encore la sardine !

Elle me tient et ne me lâche plus.

Je la sens dans l'air.

Je la retrouve à table d'hôte.

Dans les bassins du port, je vois flotter aux mâts, avec des souplesses de tulle et de gaze, les filets très fins, où elle se jette tête perdue.

Un bateau norvégien est ancré près du quai, et des matelots blonds, à face ibsénienne, débarquent des barils d'œufs de morue, toute une provision de rogue destinée à appâter ce poisson fou. »

 

« Bon gré, mal gré, il me faut consacrer cette journée à la sardine. »

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Gaston Deschamps

Le parfum du nectar et de l'ambroisie ne flottait point dans le lieu sombre où je vis pour la première fois

cette jeune merveille.

Le petit bonnet des femmes de Concarneau, serré sur cette tête parfaite, laissait à peine échapper,

çà et là, quelques mèches blondes et gâtait les lignes pures du profil.

Un affreux tablier de cuisine offensait les contours du buste délicat, de la taille souple, des hanches fines.

Quant aux pieds apparemment dignes d'être modelés dans le marbre par le ciseau de Puech,

ils disparaissaient dans d'énormes sabots.

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Pourtant, elle avait un air de reine en agitant,

avec une écumoire de fer battu, les sardines dans l'huile.

Son geste était beau.

Sa manche retroussée découvrait un bras blanc et ferme

dont la fraîcheur faisait songer à cette Nausicaa qui ne dédaignait pas, elle aussi, de descendre sans mauvaise humeur à des besognes réputées serviles.

Seulement, Nausicaa était fille de prince, et celle-ci est née

dans la maison d'un pêcheur. »

 

« Le directeur de la sardinerie, remarquant mon admiration, me dit :

 

« — C'est Iannic ? La perle de Concarneau.

Beaucoup de garçons lui font la cour et voudraient l'épouser.

Mais elle est difficile.

D'ailleurs, elle gagne une dot qui lui permet de faire la fière.

À ses moments perdus, elle sculpte des sabots et de menus objets

en bois. »

 

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« Je remerciai le directeur. Je lui sus gré de m'apprendre que Iannic était artiste et que ses belles mains

se reposaient de l'industrie sardinière en soumettant aux lois du dessin la matière indocile.

Je la comparai mentalement aux plus gracieuses filles de l'antiquité, et j'entendis au fond de ma mémoire

un écho harmonieux de Théocrite :

« Regarde cette coupe... Je l'ai sculptée dans le cœur d'un olivier sauvage, et si tu la portes à tes lèvres,

tu respireras la fraîche odeur du bois récemment ciselé... »

 

La reine des sardinières de Concarneau sera certainement fière de cet hommage rendu à sa beauté

par le pénétrant critique.

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