retro29.fr
Le site Retro29.fr est arrivé à une taille critique.
La suite des articles se trouve sur le site de L'ANNEXE de Retro29.
Fenêtres sur le passé
1894
Un héritage de 4 millions à Recouvrance
Source : La Dépêche de Brest 23 août 1894
Depuis quelques jours, le bruit courait à Brest qu'une orpheline de Recouvrance et ses deux jeunes frères
venaient de faire un héritage de quatre millions, d'un oncle décédé en Amérique.
La nouvelle était exacte, à cela près que l'oncle en question n'est pas mort en Amérique, mais à Saigon.
L'orpheline à qui échoit ce joli magot, Mlle Anna Le Hir, est âgée de 27 ans.
Elle habite une modeste chambre au rez-de-chaussée, dans la cour de M. Léaustic, 44, rue de la Fontaine.
Ses futurs millions n'ont pas l'air de la troubler beaucoup, et c'est le plus tranquillement du monde
qu'elle nous fait le récit du départ de son oncle, de Saint-Renan, berceau de leur famille.
Collection Martine de Lajudie
II y a une cinquantaine d'années, la famille Pelleau tenait à Saint Renan
un petit commerce de mercerie, épicerie, etc.
M. et Mme Pelleau avaient trois fils et deux filles.
La plus-jeune de celles-ci mourut en bas âge ;
l'autre se maria en 1866, à Saint-Renan,
avec un marin de l'État nommé Le Hir.
Des trois fils, l'un s'établit menuisier à Ouessant, où il mourut ;
l'autre, Pelleau (Stanislas) (l'oncle à héritage),
quitta Saint-Renan à l'âge de 14 ans, après le décès de ses parents,
et s'embarqua comme mousse à bord d'un bateau de commerce.
Le troisième mourut caporal-fourrier, sans laisser d'enfants,
comme son frère d'Ouessant.
M. et Mme -Le Hir, "beau-frère et belle-sœur de Stanislas Pelleau, donnèrent le jour à trois enfants, les trois héritiers d'aujourd'hui :
Mlle Anna Le Hir, Charles Le Hir, âgé de 16 ans, et Théophile Le Hir, 13 ans, pupille de la marine,
actuellement en vacance chez sa sœur.
Le 18 mai 1891, Mme Le Hir mourait à Brest, et le 26 février 1892, c'était le tour de M. Le Hir,
qui était second-maître en retraite, et qui habitait alors avec sa famille rue de la Fontaine, n° 24.
Mlle Le Hir, à la mort de ses parents, éleva ses frères en travaillant nuit et jour, soit comme factrice,
soit comme employée dans différents magasins.
Pendant que la famille vivait à Brest ou dans les environs, Stanislas Pelleau courait le monde.
Il fit longtemps comme matelot les voyages de Bordeaux à Marseille ; puis il alla en Cochinchine.
Il y a quatorze ans, il s'installait à Saigon et fondait un petit commerce, qui réussit assez bien ;
mais le Saint-Renanais ne se borna pas là.
Très ingénieux, d'esprit chercheur, il inventa un nouveau vernis avec des produits spéciaux à la Cochinchine.
Le nouveau produit était beaucoup plus économique que les vernis importés d'Europe.
Les essais réussirent, mais les économies de l'inventeur y passèrent.
Non découragé, M. Pelleau s'adressa au conseil colonial de la Cochinchine, sollicitant une subvention de 15.000 fr. pour installer à Saigon une fabrique de vernis.
Le 23 janvier 1888, le journal officiel de la colonie rendait compte des débats qui eurent lieu à ce sujet au sein du conseil.
Le rapport disait que M. Pelleau
« avait inventé un nouveau vernis dans la composition duquel n'entrait pas l'huile de lin, mais seulement des produits
peu coûteux et essentiellement propres à la Cochinchine
et dont le prix de revient est très inférieur à celui des autres vernis.
« Ce vernis et les couleurs fabriqués avec le nouveau produit, continuait le rapport, ont été soumis à diverses expériences
faites par M. Brousmiche, pharmacien de la marine.
L'analyse a démontré que le produit de M. Pelleau présente
de réelles qualités. »
Rue Catinat Saigon ca 1900
Nicolas, Pierre, Notices sur l’Indo-chine, Cochinchine, Cambodge, Annam, Tonkin, Laos, Kouang-Tcheon-Quan
publiées à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900.
[Paris, 1900].
A l'appui du rapport était jointe l'appréciation de M. Josselme, inspecteur d'agriculture,
qui donnait ainsi son avis à M. le directeur de l'intérieur à Saigon :
« La subvention demandée n'est pas exagérée ;
à mon appréciation, l'industrie que veut nous donner M. Pelleau est conforme à l'intérêt public
et elle mérite d'être soutenue. »
Bref, après une courte discussion, la subvention fut accordée et l'usine fut installée.
Mais, au début, cela ne marcha pas tout seul, et le 24 décembre 1888
M. Pelleau demandait à la colonie une avance de 1,200 piastres.
Le journal officiel de la Cochinchine du 24 décembre contient, au sujet de cette demande de 1,200 piastres,
le rapport suivant de M. Ogliastro, rapport adressé au conseil colonial :
« Messieurs,
« La situation de M. Pelleau paraît, en effet, digne d'intérêt ;
il y a là une industrie nouvelle qu'il convient d'encourager, car les produits fabriqués par M. Pelleau,
tirés des matières premières fournies par la colonie, seront pour elle une nouvelle source de richesse.
« En conséquence, votre commission vous propose d'accorder au pétitionnaire une avance de 1,200 piastres,
qui devra être remboursée à l'administration en produits fabriqués, destinés à être envoyés dans les cinq ports de la métropole, afin de les faire connaître et d'attirer à leur fabricant des commandes.
« Cette somme serait prélevée sur le reliquat de 4,200 piastres du crédit de 5,000 piastres inscrit au budget de 1888,
sous la rubrique :
« Encouragement au commerce et à l'industrie ».
La proposition fut adoptée, et, peu après, l'usine de peinture
et de vernis, établie à Biên Hòa, prenait une certaine extension.
Tout à ses travaux, M. Pelleau n'écrivait que tous les deux
ou trois ans à son frère et à sa belle-sœur, M. et Mme Le Hir,
qui s'étaient retirés à Saint-Renan après la mise à la retraite
de M. Le Hir.
La dernière lettre adressée à Mme Le Hir est datée
du 1 août 1892.
Elle lui fut remise par M. Cheminant, maire de Saint-Renan,
auquel M. Pelleau l'avait envoyée, ignorant si sa famille
habitait toujours Saint-Renan.
Hôtel des postes Saigon 1906
Colonies françaises, Asie : Cheik-Said, l’Indo-chine, Cochinchine, Cambodge, Annam, Tonkin, Laos et concessions en Chin e;
Charles Brossard, [E. Flammarion, Paris] 1906.
« Après tant d'efforts et de persévérance, disait M. Pelleau dans cette lettre, j'ai réussi à créer,
dans ce beau pays de Cochinchine une industrie nouvelle de vernis et peintures.
J'ai toujours été très occupé, mais aujourd'hui je vois enfin mes efforts récompensés.
Mon industrie prend de jour en jour de nouveaux développements et je puis affirmer que, avant peu,
la réussite sera complète. »
Il y a quelques mois, M. Pinchaud, commis du service colonial,
arrivait à Brest pour y passer un congé de convalescence.
M. Pelleau, dont il tenait les écritures, l'avait chargé, avant son départ de Saigon,
de rechercher les membres de sa famille et de les inviter à aller le rejoindre.
Dès son arrivée à Brest, M. Pinchaud s'occupa de cette affaire.
Il retrouva Mlle Le Hir et ses frères et leur fît part du désir de leur oncle qui, disait-il, était très riche.
Mlle Le Hir s'était décidée à partir pour Saigon lorsque, il y a quelques jours, on vint lui apprendre
que son oncle était décédé en leur laissant la bagatelle de quatre millions.
Telle est cette histoire qui vient de combler de joie une modeste famille
et qui prouve que les oncles d'Amérique — ou de Saigon — ne sont pas encore tous morts.
Source La Dépêche de Brest 24 août 1894
L'héritage de quatre millions que nous avons raconté hier fait naturellement l'objet de toutes les conversations.
Nous avons pu voir hier M. Painchaud, commis du service colonial,
chargé par M. Pelleau de rechercher les survivants de la famille Le Hir.
M. Painchaud nous a donné quelques nouveaux détails sur cette affaire.
M. Pelleau était surveillant voyer à Biên Hòa lorsque l'idée lui vint de fonder un petit café.
Le commerce prospéra.
M. Pelleau employa alors une partie de ses bénéfices à rechercher et à fabriquer le nouveau vernis
dont nous parlions hier.
Les débuts, comme nous l'avons dit, ne furent pas heureux.
Notre compatriote dut s'adresser à deux reprises au conseil
de la colonie, qui l'aida d'abord par une subvention
et ensuite par une avance de 1200 piastres.
Grâce à ce concours, justifié par l'industrie nouvelle
dont il dotait la colonie, les affaires de M. Pelleau
prirent enfin l'essor qu'il espérait.
Il reçut de nombreuses commandes et, avec le temps,
la fortune vint.
Palace du Gouverneur - Saigon ca 1900
Nicolas, Pierre, Notices sur l’Indo-chine, Cochinchine, Cambodge, Annam, Tonkin, Laos, Kouang-Tcheon-Quan
publiées à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900.
[Paris, 1900].
M. Pelleau n'avait qu'un désir : retrouver sa nièce et ses neveux.
Il chargea donc M. Painchaud de cette mission, mais il mourut sur ces entrefaites.
On connaît le reste.
Source : La Dépêche de Brest 28 août 1894
L'histoire des quatre millions d'héritage des orphelins Le Hir, que la Dépêche a raconté la première,
fait le tour de la presse.
Hier encore, notre confrère, M. de Rougé, lui consacrait une chronique dans la Lanterne.
Cette large publicité aura eu un amusant résultat.
En effet, depuis que nous avons raconté la mort de l'oncle de Saigon, Mlle Anna Le Hir reçoit à chaque courrier
une volumineuse correspondance :
demandes de mariage, demandes de secours, demandes d'emprunts, offres de service, pleuvent de toute part.
La lecture de ce courrier est loin d'être sans intérêt, comme on pourra en juger par les extraits que voici.
Commençons d'abord par les demandes en mariage.
Elles sont nombreuses, et plusieurs photographies de prétendants
à la main de Mlle Le Hir accompagnaient les envois.
« Mademoiselle, lui écrit à la date du 23 août un habitant de Niort,
je ne saurais trop comment vous présenter mes excuses,
si j'ose en ce jour me permettre de prendre la liberté de vous écrire (sic).
« J'ai hâte de vous écrire ces lignes sans phrases et sans détour.
Voici l'objet de ma résolution :
je viens franchement, loyalement, vous demander si votre désir est de vous marier ?
« Vous avez de 25 à 28 ans, moi j'ai 36 ans.
Brun, grand, bel homme, distingué, d'une conduite exemplaire,
pas beaucoup fortuné, par exemple (il faut toujours avoir le courage de son opinion et ne jamais dénaturer la vérité).
« Pourquoi chercher à tromper les gens en donnant à entendre que l'on a une situation qui n'est pas réelle ?
« Voyez, mademoiselle, d'après cet aperçu, si ces conditions peuvent vous plaire... etc.
« Signé : G... »
Le sieur G..., on le voit, sait se rendre justice.
Grand, bel homme, distingué, d'une conduite exemplaire !
C'est peut-être un peu beaucoup de qualités pour un homme seul, mais passons.
La lettre suivante vient de Confolens (Charente) :
« Mademoiselle,
« Touché de votre conduite envers vos deux frères et de la façon si simple avec laquelle vous avez accepté l'héritage
de monsieur votre oncle, je me suis épris de vous, sans vous connaître.
« II est si rare, dans notre siècle, de rencontrer des jeunes filles à l'âme si fortement trempée, que je demande à Dieu que,
malgré la distance qui nous sépare, nous puissions nous rapprocher et nous comprendre.
« Je voudrais, mademoiselle, compter déjà au nombre de vos amis, ce qui me permettrait de vous expliquer de vive voix
tout ce que je ressens pour votre admirable conduite.
« Oh ! Mademoiselle, que je voudrais vivre avec vous de cette vie simple, qui donne le vrai bonheur sur la terre !
Je crois que nous aurions les mêmes goûts, les mêmes inclinaisons... », etc.
Ça, c'est le coup du sentiment.
Ah ! Le vrai bonheur ! Avec les quatre millions à la clef.
Un modeste conducteur de filature des Vosges ne va pas chercher,
comme le précédent, midi à quatorze heures.
Il se borne « à prendre la hardiesse » d'offrir à Mlle Le Hir de joindre sa destinée à la sienne et il ajoute naïvement :
« Ce n'est pas pour me moquer de vous, mademoiselle. »
Un employé de commerce d'Angers écrit que la nouvelle de l'héritage
lui est parvenue, non pas en entendant chanter le rossignol,
mais en déjeunant avec sa sœur et son beau-frère.
« Oui, mademoiselle, dit-il, je viens vous demander s'il me serait permis
de prétendre à votre main, si votre choix n'est pas encore fait ;
et puisque vous devez faire un heureux sur la terre,
qui sait si le hasard ne m'a pas désigné ?
« Jamais je n'avais pensé à me marier,
et aujourd'hui je n'hésite pas à écrire cette lettre.
« Ci-joint ma photographie ;
elle date d'un an et je dois vous dire que j'ai 34 ans. »
Collection Martine de Lajudie
La note exotique est donnée par un « ancien officier » qui a vécu en Cochinchine.
C'est une brûlante déclaration d'amour
— comme il convient d'en attendre d'un prétendant qui a séjourné dans les pays chauds.
Mais nous n'en finirions pas.
Passons aux demandes de secours.
Le sujet est moins gai.
Les signataires appartiennent à toutes les classes de la société.
Un nouveau marié de Limoges écrit le 25 août :
« Je suis marié depuis trois mois et j'adore ma femme ;
je suis employé de commerce avec de faibles appointements.
Mon mariage m'a mis dans la gêne et cette gêne me cause de grandes préoccupations.
« Je viens, mademoiselle, vous prier de me donner une petite somme ;
petite somme pour vous maintenant, mais grosse pour moi :
1,500 francs, qui me permettront peut-être de commencer ma petite fortune et m'enlèveront les idées noires engendrées
par des échéances auxquelles je ne puis faire face. »
Et l’employé de commerce termine en disant qu'il va prier Dieu pour que celui-ci inspire une bonne idée à Mlle Le Hir !
Les lettres de mères de famille dans la misère, sollicitant des secours, sont, hélas ! fort nombreuses.
Le curé d'une petite commune de la Sarthe écrit :
« Mademoiselle, un pauvre curé de campagne, à qui son évêque a confié une très pauvre paroisse, s'est vu obligé,
pour venir en aide à ses ouailles, de prendre à sa charge une grande partie des réparations jugées nécessaires à l'église surtout et au presbytère.
Je viens d'apprendre que le bon Dieu, dispensateur des biens, vous a favorisés, vous et vos deux jeunes frères,
et il vient humblement vous prier de prendre pitié d'une situation difficile et de lui venir en aide.
« Votre bonté pour nous en sera récompensée par notre reconnaissance et, j'en suis sûr,
par celui qui rend au centuple ce qu'on daigne faire pour lui. »
Le directeur dans l’embarras termine ainsi :
« Cette lettre a quelque peu le caractère d’être celle d'un chevalier d'industrie, mais pour vous dissuader de cette idée,
faites prendre des renseignements sur mon compte. »
« D'honorables commerçants de Nantes » comme ils s'intitulent eux-mêmes, demandent un emprunt de 20.000 fr.,
car « la maison est momentanément gênée ».
Un horloger des Ardennes demande 3.000 fr. et « lui et sa jeune femme seront reconnaissants pour la vie ».
Un « ancien officier de marine », qui est de Brest, demande à Mlle Le Hir
« de mettre le comble à son bonheur en daignant lui faire don d'une somme de mille francs.
Ce serait peu pour vous et beaucoup pour moi. »
Après le curé, c'est un directeur de théâtre, qui fait une cure à Vichy, d'où sa lettre est datée.
Après avoir félicité Mlle Le Hir, il ajoute :
« En quelques mots, voici le motif de la présente.
Je tiens un théâtre à Lyon ai que j’ai acheté, il y a trois ans,
près de 10 000 fr.
Je l'ai complété avec 3,000 fr. de matériel
Je suis venu m'installer à Vichy pour la saison d’été et j'ai monté un autre établissement qui me coûte encore 8,000 fr.
« Cette saison a été des plus malheureuses
et je suis dans de grands embarras.
J’aurai donc besoin de 12,000 francs pour échapper
à de grandes complications.
Je vous les emprunterai à 6 %, remboursables à 20,000 fr.
J'ajoute que mon théâtre de Lyon qui a 75 ans d'existence, rapporte,
net 4,000 fr. par an »
Mais voici une lettre qui vient de Suisse.
Elle est datée de la Chaux-de-Fonds, 25 août :
« Vous devez avoir un cœur d'or, et j'aurai un grand service à vous demander.
Vous trouverez peut-être que j'ai beaucoup d'aplomb de m'adresser à une personne qui ne me connaît pas et de lui demander comme cela, d'emblée, un service ! »
Et la lettre continue longtemps sur ce ton.
Son auteur, qui est horloger, voudrait prendre un magasin d'épicerie, et il demande à emprunter une forte somme.
Pourquoi cet horloger veut-il devenir épicier ? Problème.
Le suivant est un entrepreneur parisien, ruiné par de mauvaises spéculations.
Après avoir construit des maisons en quantité, il est sur le point de n'avoir pas de toit pour abriter sa tête,
car son propriétaire veut le mettre à la porte.
Il supplie donc les « bienheureux orphelins de disposer d'une obole sur la bonne aubaine qui leur vient d'Extrême-Orient ».
L'ex-entrepreneur a, d'ailleurs, pensé qu'un peu de dévotion ne ferait pas mal dans le tableau.
Il ajoute donc en post-scriptum qu'avant de fermer sa lettre, il est allé au Sacré-Cœur de Montmartre,
où il a prié Dieu avec ferveur pour que les héritiers de Stanislas Pelleau jouissent en paix du bien
qui vient de leur arriver.
Et il ajoute :
« Si vous consultez quelqu'un a mon égard, veuillez-vous adresser à quelqu'un d'intelligent et d'humanitaire ».
Voici maintenant le bas-bleu, une demoiselle Juliette G...,
dont le papier à lettre est à en-tête d'un journal de modes.
Elle aussi a prié,
mais c'est à Notre Dame des Victoires qu'elle s'est adressée.
Puis, si on l'en croit, elle a quelques titres à entrer en relations
avec Mlle Le Hir.
« Il y a huit ou neuf ans, dit-elle, j'ai eu l'occasion de rencontrer votre oncle.
Il me fit part de ses projets et me dit :
« Rappelez-vous, mademoiselle, qu'un jour je serai millionnaire.
Si nous sommes tous les deux de ce monde, nous en recauserons. »
« Si, comme je l'espère, mademoiselle, vous avez occasion de venir à Paris, je serai très heureuse de m'associer à votre bonheur et de causer de celui qui fut si bon prophète.
Soyez heureuse, ainsi que vos frères... » etc.
Collection Martine de Lajudie
Aux demandes en mariage comme aux autres, Mlle Le Hir ne répond naturellement rien.
Elle en rit beaucoup avec ses voisines, et elle ajoute, en parlant de son fiancé, un soldat du 6e de marine :
« Il m'aimait quand j'étais pauvre ; je n'en aimerai pas d'autre, maintenant que je suis riche ! »
Soupirants que la mirifique dot pourrait tenter, vous voilà prévenus.
Vous aurez beau être grand, brun, bel homme, distingué et, par surcroît, d'une conduite exemplaire,
cela ne vous servira de rien.
Mlle Le Hir entend qu'on l'aime pour elle-même et elle a, ma foi, bien raison.
Source : La Dépêche de Brest 29 août 1894
En voilà bien d'une autre !
Le bruit court maintenant avec persistance que les quatre millions légués par M. Stanislas Pelleau à Mlle Le Hir
et ses frères n'auraient jamais existé que dans la trop riche imagination d'un colonial qui jouerait,
à ses moments perdus, les Lemice-Terieux. (*)
(*) Paul Masson - voir Wikipedia
C'est ce qui semble ressortir de la lettre suivante que nous recevons :
« Monsieur le rédacteur,
Ne pensez-vous pas qu'il serait temps de couper les ailes du canard ayant trait à une succession de quatre millions
qui écherrait à Mlle Le Hir ?
L'oncle de Saigon a tenté la fortune un peu partout.
Fabricant de bouchons, inventeur d'un vernis, ledit oncle possède tout au plus une dizaine de mille francs,
et ce chiffre n'est représenté que par les marchandises en magasin.
« Si vous doutez des renseignements ci-dessus, veuillez les corroborer près de MM. X... et Z...,
arrivés tout récemment de Saigon et qui connaissaient tout particulièrement le pseudo-millionnaire.
Un de vos lecteurs. »
Il y a mieux. Stanislas Pelleau ne serait pas mort !
M. Pinchaud, le commis du commissariat colonial qui a joué le rôle que l'on sait dans cette affaire,
a reçu hier une lettre de l'oncle de Saigon.
Cette lettre est datée, il est vrai, du 28 juillet.
L'oncle aux millions a pu mourir depuis, mais est-il mort?
Personne n'en sait rien au juste.
Des renseignements ont été demandés à Saigon.
On ne saurait donc tarder à savoir à quoi s'en tenir.
En attendant, Mlle Anna Le Hir, que nous avons revue hier soir,
espère toujours que les millions de l'oncle de Saigon ne s'évanouiront pas.
Souhaitons qu'elle ne se trompe pas et qu'elle n'ait pas été victime d'un fumiste décidément trop cruel.
La Pointe des Blagueurs - Saigon