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Fenêtres sur le passé

1890

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L'accident du croiseur Milan à Brest

Source : Le petit Parisien 3 août 1890

 

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L'accident de mer survenu au croiseur le Milan, lors de la sortie de Brest des escadres combinées,

vient d'avoir pour conclusion une mesure de rigueur prise contre le commandant de ce navire.

 

M. le capitaine de frégate Ferrand a, en effet, été démonté de son commandement et

remplacé par un officier du même grade.

 

Cette décision ministérielle a été précédée de la réunion d'un Conseil d'enquête appelé se prononcer

sur les circonstances d'un événement aussi inattendu que le choc, en plein jour, par beau temps,

d'un navire sur des rochers absolument connus et marqués par une bouée.

 

On se rappelle que le Milan avait à bord un pilote côtier qui se trouvait sur la passerelle, à côté de l'officier de quart.

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Il paraît que le commandant Ferrand avait quitté ce poste et déjeunait,

non dans ses appartements, mais dans une petite cabine située sur le pont.

 

C'est cette particularité qui, assure-t-on, a motivé les sévérités

du Conseil d'enquête et la punition grave infligée par M. Barbey

à un officier supérieur dont la carrière peut être brisée par ce fait ou dont,

tout au moins, l'avancement sera retardé considérablement.

 

La discipline ne serait pas atteinte, à notre avis, si le Ministère de la Marine saisissait l'opinion publique des détails de cette affaire en faisant connaître avec exactitude les considérants de l'appréciation émise

par le Conseil d'enquête.

 

Sans doute, tant qu'un navire n'est pas au large, le devoir du commandant

lui prescrit de demeurer à son poste de combat et d'appareillage

mais dans le large goulet de Brest, peut-on dire qu'on est encore

dans les passes ?

 

L'escadre venait de naviguer pendant plusieurs jours au milieu des récifs

de la côte de Bretagne.

 

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BARBEY (EDOUARD, POLYDORE, ISAAC)

Né à Béziers (Hérault) le 2 septembre 1831,

Mort à Paris, le 26 mars 1905.

Sénateur du Tarn de 1882 à 1905.

Ministre de la Marine et des Colonies

(mai à décembre 1887).

Ministre de la Marine de 1889 à 1892.

Elle avait franchi le canal de l'Iroise, bien plus dangereux que le goulet de Brest, large et balisé.

 

Les commandants n'avaient probablement pas vécu jour et nuit sur la passerelle ;

et le capitaine de frégate Ferrand avait sa responsabilité fort diminuée par la présence d'un pilote.

 

Ce pilote et l'officier de quart semblent beaucoup plus coupables que le commandant

et on peut même se demander si l'amiral n'avait pas signalé un ordre de route ayant contribué

à amener le Milan sur l'écueil des Fillettes.

 

Ce croiseur suivait son «matelot d'avant», qui n'a eu aucun accident.

 

Il est donc probable qu'il a été porté latéralement par la courant dont l'amiral n'avait pas tenu compte

ni prévu la force, en signalant l'ordre de marche.

 

Sans doute la question du salut du bâtiment prime toutes les autres, et le Milan eut dû quitter son poste,

s'il le fallait pour éviter les rochers.

 

Mais tout cela a besoin d'être élucidé, parce que nous vivons dans un temps de publicité et de justice.

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Le Ministre de la Marine ferait bien d'apporter

dans cette affaire une lumière complète,

quand ce ne serait que pour prouver son équité ;

car certains disent qu'il a voulu trouver une victime expiatoire.

 

Il y a une fable de La Fontaine les Animaux malades de la peste,

dans laquelle on tue, comme ayant commis un noir forfait,

un pauvre diable d'âne qui a tondu un pré de la largeur de sa langue, tandis qu'on déclare le lion innocent de tout crime,

quoiqu'il ait dévoré un tas de gens.

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Milan _51.jpg

The Mechanical Engineer. New York :

Egbert P. Watson & Son. IX (11): 121. 30 May 1885

Le commandant Ferrand est sans doute coupable; mais on voudrait savoir s'il est seul coupable

et s'il ne paie pas pour blanchir les autres.

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Source : La Dépêche de Brest 18 juillet 1890

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L'escadre a quitté Brest hier matin dans le même ordre qui, une première fois déjà, avait présidé à son départ.

 

Les feux ont été allumés à 5 heures 45 ;

à neuf heures et demie, l'escadre appareillait ;

une heure plus tard, le dernier bâtiment disparaissait à l'horizon.

 

Connue pour le premier départ, un grand nombre de nos concitoyens suivaient avec Intérêt la dernière évolution

à laquelle nous devions assister de cette importante force navale.

 

Beaucoup s’étaient rendus à Sainte-Anne, emportant leur déjeuner,

pour jouir de plus près du magnifique spectacle qui nous est trop rarement offert.

 

L'appareillage de l'escadre s'était fait en trés-bon ordre, la formation en colonnes avait été parfaitement exécutée ;

la sortie de Brest et du goulet aurait donc été de tous points heureuse,

si un grave accident n'était survenu au « Milan » un peu après.

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L'accident du « Milan»

 

Le Milan marchait presque en queue de ligne, lorsque,

passant trop près de la basse des Fillettes, il a touché,

se faisant ainsi dans le flanc, par le travers bâbord de la ligne

de flottaison, une déchirure assez large et

par suite une voie d'eau considérable.

 

L'eau a gagné aussitôt avec rapidité.

 

Il ne fallait plus songer à poursuivre sa route ;

il était urgent, au contraire, de retourner à Brest au plus vite.

 

Faisant preuve en cette circonstance d'un très grand sang-froid,

le commandant se dirigea immédiatement

sur le port de commerce, où il pouvait s'échouer sans crainte,

à cause des fonds très mous.

 

Les trois croiseurs le Sfax, le Rigault de Genouilly et le Vautour

et le torpilleur 71 accompagnèrent le Milan jusqu'à Brest.

 

À midi 45, le Milan entrait au port de commerce et allait s'amarrer le long de la jetée de l'est, derrière la défense mobile.

 

Le navire une fois en sûreté, les trois croiseurs

et le torpilleur rejoignirent l'escadre.

 

À deux heures et demie, pendant que le navire opérait

le débarquement de ses poudres, des scaphandriers se mettaient

à l'œuvre et parvenaient à aveugler un peu la voie d'eau.

 

À 4 h. 1/2, la Milan était conduit dans le port de guerre,

remorqué par le Laborieux et escorté de plusieurs remorqueurs

et chaloupes munis d'appareils de pompage.

 

On a aussitôt installe à bord de puissantes pompes

Woend et Damont, dont le fonctionnement a assuré la flottaison du bâtiment jusqu'au moment où il aura été possible

de le mettre au bassin.

 

Cette opération de mise au bassin ne pouvait s'opérer immédiatement à cause du jusant, avec lequel on pouvait

avoir à redouter de plus graves accidents ;

force était donc d'attendre le flot, qui ne devait se produire

que dans la nuit.

 

Ce matin, le navire doit être en sûreté.

 

Maintenant, comment l'accident est-il arrivé ?

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Milan _52.jpg
Croiseur Sfax.jpg
Croiseur Rigault de Genouilly.jpg
le-VAUTOUR.jpg

On en peut-être d'autant plus surpris que les Fillettes sont un rocher bien connu et portant une bouée.

 

Mais on ne saurait aujourd'hui tenter d'apprécier un événement qui est, comme bien on pense,

l'objet de nombreux on-dit et de racontars qu'on ne peut sérieusement prendre en considération.

 

Avons-nous besoin d'ajouter que M. le vice-amiral Zédé et les autorités maritimes se sont rendus à bord du bâtiment ?

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L'escadre dans l'après-midi

 

Quant à l'escadre, elle a dû être fort gênée par le temps du large.

 

Vers trois heures, la brume était très forte ; on voyait peu devant soi.

 

Disons, en terminant, que les amiraux de l'escadre de la Méditerranée

se sont rendus, avant de quitter Brest, à l'hôtel de ville, pour faire visite au maire.

 

Ne le rencontrant pas, ils ont déposé leurs cartes.

 

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Source : La Dépêche de Brest 19 juillet 1890

 

Les avaries du Milan

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Amiral Zédé.jpg

Amiral Zédé

Les avaries du Milan consistent dans une déchirure de la tôle sur un diamètre de 50 à 60 centimètres environ,

à la partie tribord avant du bâtiment, à 15 mètres environ de l'extrémité de l'éperon, tout près de la quille.

 

À l'arrière, tout près des hélices, il y a aussi quelques mètres de tôles enlevés, au-dessous même de la quille,

ce qui indique que cette partie du navire a fortement talonné les écueils.

 

Cette dernière avarie est sans grande importance.

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Une voile toute neuve avait été passée, avant l'entrée

dans le port, par les scaphandriers, 

au-dessous de la coque pour aveugler la voie d'eau.

​

Les réparations n'exigeront pas un long délai,

car en dehors des deux points que nous avons indiqués,

la coque est complètement indemne.

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Deux bœufs pris au départ et qui ne se doutent guère

que c'est à cet accident qu'ils doivent la prolongation

de leur existence, mangent mélancoliquement leur foin, couchés sur le pont.

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embarquement_dun_boeuf_sur_un_.agence_ro

Embarquement d'un boeuf

[sur un navire de guerre durant les manoeuvres navales de 1914] : [photographie de presse] / [Agence Rol]

Date d'édition : 1914

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Source : La Dépêche de Brest 22 juillet 1890

 

Le départ du Milan

 

Le Milan dont les réparations sont terminées, est sorti du bassin et a été mis en rade hier à cinq heures.

 

Ce croiseur a immédiatement pris son corps-mort et embarqué son pilote.

 

Le Milan appareillera ce matin à la première heure, pour rejoindre l'escadre.

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Source : La Dépêche de Brest 31 juillet 1890

 

Lettre d’un officier

 

… Mon cher ami, avant de continuer mon petit journal de mes faits et gestes, quelques mots sur l'incident du Milan.

 

Nous appareillons en adoptant l'ordre en colonnes, par escadres, la première à droite (commandant en chef) ;

peu après être entrés dans le goulet, à la hauteur de la roche Mengam, qui est juste au milieu, comme tu sais,

signal de liberté de manœuvre à la deuxième escadre ;

celle-ci s'empresse de passer au sud de la roche, pendant que la première continue sa route en passant par le nord.

​

À onze heures, remarque bien l'heure,

l'amiral signale de reprendre l'ordre en colonnes par escadres,

la première à droite, la route au sud 43°0,

la distance entre les deux colonnes fixée à 800 mètres ;

à ce moment-là, la formation de l'armée, de souple qu'elle était, devient rigide : le Trident, navire-amiral de la deuxième escadre, manœuvre pour prendre son poste ;

il se rapproche de l'axe du goulet et, par conséquent,

du banc des Fillettes...

 

Le long serpent qui navigue dans ses eaux

et qui se croit obligé de suivre docilement ses embardées

finira par raser de très près la bouée du banc...

 

En effet, à onze heures trente, le Milan signale « une voie d'eau ».

 

Tu sais le reste.

 

Qui osera donc s'élever une bonne fois

contre le fétichisme de «  l'ordre » ?

 

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Au surplus, si je déclare qu'à mon avis on s'est trop pressé de donner à l'armée une formation définie et invariable,

je ne vais pas jusqu'à rendre le commandant en chef responsable de l'échouage.

 

Le règlement qui laisse chaque capitaine juge en dernière analyse de la route à suivre pour préserver son navire

d'un accident, ce règlement salutaire n'a pas, que je sache, cessé d'être en vigueur.

 

Ceci dit, reprenons notre armée navale au sortir de l'Iroise :

elle n'est pas bien loin, du reste, car elle a été enveloppée par la brume, et tellement que le commandant en chef

se décide à venir mouiller dans la baie de Douarnenez ;

il le fait avec aplomb, je le déclare, car la vue ne s'étend pas au-delà de quelques centaines de mètres,

et il faut reconnaître le phare d'Armen, dont les parages sont délicats, comme tu le sais.

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La fortune récompense l'amiral de ce bon mouvement, et, à huit heures du soir,

nous voilà tous mouillés dans la baie.

 

Quant à la méthode suivie pour le mouillage,

c'est celle que je t'ai déjà décrite, la méthode du

« débrouillez-vous ; moi, je m'en vais ».

 

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Ce procédé commode, — et, d'ailleurs, tout ce que nous faisons, — excite l'enthousiasme du T...

dont les dithyrambes font sourire ici...

 

Au reste, tous les goûts sont dans la nature.

 

Mais où donc le correspondant de ce journal a-t-il vu des exercices de reconnaissance de nuit ;

et des formations tactiques en vue du combat ;

et ce passage de 200 mètres entre la Teignouse et un banc, à Quiberon ;

ce défilé où il y avait de la houle ?

 

Décidément, l'amiral fera bien de se méfier d'amis trop zélés.

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Source : La Dépêche de Brest 31 juillet 1890

 

Notre correspondant maritime à Paris nous télégraphie hier, 3 h. 33 soir :

Le capitaine de frégate Douzans est nommé au commandement

du croiseur de 2e classe le Milan, dans l'escadre de la Méditerranée.

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Marius Auguste Hyacinthe DOUZANS

Source : La Dépêche de Brest 3 août 1890

 

Le ministre de la marine vient d'adresser des félicitations

à M. le directeur des constructions navales Lemaire, aux officiers,

maîtres et ouvriers du port de Brest placés sous ses ordres,

pour le zèle et l'activité déployés en vue de mettre le Milan

en état de participer à la dernière série des manœuvres de l'escadre.

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Directeur des Constructions Navales Jule

Jules Omer LEMAIRE

Directeur des Constructions Navales (1839 - 1915 )​​

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