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Fenêtres sur le passé
1887
Henriette Boissais de Morlaix
et le scandale des décorations
Source : La Dépêche de Brest 21 octobre 1887
Parmi les femmes impliquées dans l'affaire Caffarel (*), il en est une qui eut jadis à Morlaix son heure de célébrité.
Jeune alors, et d'une éclatante beauté, elle suscita des passions folles et vit à ses pieds tout un essaim d'adorateurs ……
Mais où sont les neiges d'antan !
(*)Scandale des décorations de 1887 — Wikipédia (wikipedia.org)
Quarante années changent bien les choses, et d'Henriette Boissais, la gentille boutiquière, il ne reste plus aujourd'hui que la vicomtesse de Courteuil, la courtisane éhontée, l'ignoble rabatteuse de la maison d'Andlau-Limousin.
La jeunesse en moins, la noblesse en plus, et quelle noblesse, grand Dieu !
Celle qui n'a qu'un quartier, le quartier Bréda, et qui gagne ses armoiries sur les divans des cabinets particuliers.
La vicomtesse de Courteuil, dont le nom dut s'écrire primitivement Court-Œil, mérita-t-elle ce titre significatif par ses principes d'économie amoureuse ?
Eut-elle au contraire, dans un reste de pudeur, le souci tardif de mettre à l'abri d'un pseudonyme de guerre le nom honorable de sa famille, déjà traîné par elle dans la boue de la ville natale ?
Chi lo sa ? Comme disait le poète italien. (*)
(*) Qui sait ?
En quittant Morlaix, Henriette Boissais se perdit dans le tourbillon parisien et il a fallu que l'égout Caffarel la crachât à la surface pour que son nom réveillât quelques souvenirs dans la mémoire de ses anciens concitoyens.
Ses parents habitaient une petite et vieille maison située dans cette partie du quai de Léon qui fut transformée lors de la construction du viaduc et devint le prolongement de la place de la Mairie.
Son père joignait à un emploi de bureau un petit commerce de papiers peints qui lui permettait d'élever à grand'peine, mais honorablement, sa nombreuse famille.
Henriette avait dès son jeune âge des instincts de perversité et de coquetterie qui ne demandaient qu'à se développer quand la troupe des beaux du temps vint papillonner autour de cette fleur qu'ils devinaient sensible.
Lorsque Henriette jeta pour la première fois son bonnet par-dessus les moulins, il fut ramassé de l'autre côté par M. X. de X .., un jeune homme d'excellente famille, mais de peu de cœur, nouvellement marié à une femme que l'on s'accordait à peindre comme un ange de beauté et de douceur.
La vie de cette pauvre dame ne fut plus qu'un long martyre.
M. X. de X .. la délaissait complètement pour s'afficher avec sa maîtresse de la plus scandaleuse façon.
Henriette Boissais mit une infernale cruauté à torturer le cœur de l'infortunée, poussant l'impudence jusqu'à la suivre partout, même à l'église, se plaçant à côté d'elle pour la narguer sans cesse de ses regards et du tapage de ses toilettes, dont personne n'ignorait la provenance.
Mme X. de X..., désespérée, voulut mourir.
Elle se précipita dans le canal de Morlaix à la mer, à la hauteur du monastère de Cuburien, mais elle avait été aperçue par M. de Kermenguy, aumônier d'une chapelle voisine, qui accourut en toute hâte et parvint à la ramener sur le rivage.
Son supplice ne devait pas encore finir, mais il fut désormais de courte durée.
Le chagrin acheva bientôt de briser cette pauvre âme, et elle mourut enfin.
Poursuivie par l'indignation publique, Henriette Boissais dut quitter Morlaix, et depuis on n'entendit plus parler d'elle.
Ses sœurs, navrées de honte, s'étaient retirées dans des couvents de Carmélites.
Elle avait aussi un frère qui naviguait au commerce et revint plus tard se fixer à Morlaix, où il tint un estaminet et un magasin de fournitures pour la marine.
C'était un vieux loup de mer honnête et franc, qui prenait plaisir à raconter les épisodes de sa vie maritime dans le langage rude et imagé des hommes qui ont roulé leur bosse sur les océans.
Çà et là, des saillies d'une grossièreté drôle émaillaient de fleurs sauvages les récits du conteur et leur donnaient une étrange saveur, une étonnante vigueur de peinture.
Le vieux caboteur est mort depuis plusieurs années déjà, mais on se souvient à Morlaix qu'aux derniers jours de sa vie il eut l'esprit hanté d'une singulière folie.
Il parlait sans cesse de la croix de la Légion d'honneur, qui eut dû briller sur sa poitrine.
Il rédigea même à ce sujet un mémoire incohérent destiné, dans sa pensée, à être lu à la Chambre, et M. Rousseau, alors député de Morlaix, dut lui promettre formellement de s'en occuper.
Le malheureux Boissais avait peut-être conservé quelques relations avec Mme de Courteuil, qui dut lui faire espérer, grâce à de puissantes influences, de voir fleurir un jour sa boutonnière, et la déception d'être trompé dans son attente acheva de détraquer un cerveau déjà ébranlé par la paralysie.
Les associés de l'aventurière refusèrent sans doute de travailler à l'œil et de procurer au pauvre diable la décoration qu'il ambitionnait et qu'il méritait cependant plus que beaucoup d'autres, comme il avait mérité la croix de Léopold en sauvant au péril de sa vie l'équipage d'un navire belge en perdition.