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Fenêtres sur le passé

1885

Les Bretons à Paris avant la Révolution

Source : Le Finistère 26 décembre 1885

 

Les Bretons à Paris avant la Révolution

 

La monarchie, qui a traité si durement la Bretagne aux XVIIe et XVIIIe siècles,

n'avait rien fait pour la rapprocher de la France.

 

Aussi, quand un Bas-Breton arrivait à Paris, était-il considéré souvent comme une bête curieuse,

dont le langage était à peine humain.

 

Lisez le dictionnaire Littré :

« Baragouin, bas-breton bara, pain, et gwinn, vin ;

mots que les Français entendaient souvent dans la bouche des Bretons,

et qui leur servirent à designer un langage inintelligible.

 

La tradition qui rattachait baragouin à la Basse-Bretagne est conservée dans ces vers d'une chanson

citée dans le Dictionnaire bas-breton de la Villemarqué, page XI :

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Théodore Hersart, vicomte de La Villemarqué 

Pseudonyme : Kervarker 

(7 juillet 1815 à Quimperlé -

8 décembre 1895 à Quimperlé)

Philologue français

spécialiste de la culture bretonne, de l'histoire, de la langue et de la littérature celtique.

Il est notamment connu comme

auteur du Barzaz Breiz,

recueil de chants populaires bretons.

Baragouinez, guas,

De Basse-Bretagne,

Baragouinez, guas,

Tant qu'il vous plaira,

 

Guas est le bas-breton guas (ou goas), vassal, »

Dédaigneux de ce langage mi-breton, mi-français,

et le prêtant à tous les Bretons

(bien que plus d'un Breton dès lors parlât le plus pur français, et l'écrivit),

les poètes disaient couramment,

dans tel poème sur le mariage de Leurs Majestés :

 

M'adresserai-je à sa chère moitié ?

Mes pauvres vers, vous me feriez pitié ;

Elle est sans doute aussi fine que belle,

Mais vous seriez du bas-breton pour elle.

 

Dans une comédie de l'abbé de Boisrobert, le valet à tout-faire

du cardinal de Richelieu ( la Belle plaideuse. 1634 ),

le dialogue suivant s'engage entre Brocalin et Lise :

 

BROCALIN

On la nomme chez nous la comtesse de Grègue.

 

LISE.

De Grègue ?

 

BROCALIN

Oui, de Grégue.  Est-ce que je suis bègue ?

Je me suis, ce me semble, assez bien expliqué.

 

LISE.

Je croyais, sans mentir, que tu t'étais moqué.

Car ce nom est bizarre.

 

BROCALIN

Et ce n'est pas merveille :

Les plus beaux noms bretons sonnent mal à l'oreille.

 

LISE.

Ta maitresse est bretonne, à ce coup ; et pour toi ?

 

BROCALIN

Je suis Breton aussi.

 

LISE

Tu te moques.

 

BROCALIN

Pourquoi ?

 

LISE

On dit que les Bretons ont plus grosse encolure.

Mais, raillerie à part, dis-moi, je t'en conjure,

Où est le comté de Grègue ?

 

BROCALIN

Il est vers Lantriquet,

Entre Kertronquedic et Kerlovidaquet.

 

LISE

Proférant ces grands mots qui sentent le grimoire,

Comment ne t'es-tu pas démanché la mâchoire ?

Pour bien les prononcer faut-il être savant ?

 

BROCALIN

Il faut être Breton, mais Breton-Bretonnant.

 

Et ailleurs :

Ah ! Que ces noms bretons sonnent mal aux oreilles !

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François de Boisrobert

Naissance : Caen, 01-08-1592

Mort : Paris, 30-03-1662

Conseiller d'État, aumônier du roi.

Dramaturge et poète.

Abbé de Châtillon-sur-Seine et chanoine de Rouen.

Membre de l'Académie française,

prit une part active à sa fondation

(élu en 1634)

Le même Boisrobert, tout Normand qu'il était, ne dédaignait pas cependant de toucher les revenus

d'un prieuré de Bretagne, qu'il n'a peut-être jamais vu.

 

Mais ses contemporains parlent et écrivent sur le même ton.

 

Dans une lettre écrite précisément à Boisrobert (7 avril 1641), Balzac se plaint d'être forcé de répondre à tout venant, de louer tous ses innombrables correspondants, et, dit-il,

« de donner mon approbation à du latin de Barbarie et à du français de Basse-Bretagne ».

 

Une autre lettre (à M. de Bellejoye, 19 mars 1648), nous montre le grand épistolier dégoûté de son métier

et des « lettres dorées » qu'on lui demande de toutes parts :

«  J'aime mieux me faire naturaliser en Basse-Bretagne, et acheter un état d'élu en la ville de Quimper-Corentin. »

Les élus, c'étaient les juges du tribunal de l'élection, ainsi appelés parce que, dans l'origine, on les choisissait par élection pour imposer les tailles,

c'est-à-dire les impôts qui pesaient sur les Français étrangers

aux doux ordres de la noblesse et du clergé, sur

« la gente corvéable, taillable et tuable à volonté », comme le dit P. L. Courier.

Ces préventions n'ont pas disparu au XVIIIe siècle,

et la musique bretonne n'est pas plus épargnée que la langue.

 

Dans le Bal, de Regnard, l'ingénieux Merlin se déguise en musicien breton,

pour duper Sotencour, et feint d'entrer en une colère épouvantable :

 

Oui, vous êtes un sot en bécare, en bémol.

De la sorte insulter la musique bretonne !

 

SOTENCOUR

Lisette, quelle est donc cette mine bouffonne ?

 

LISE

C'est un musicien Bas-Breton.

 

SOTENCOUR.

Bas-Breton !

Cet homme doit chanter sur un diable de ton.

Je crois dès à présent sa musique enragée,

Jamais de son pays il n'est venu d'Orphée.

Pour des doubles bidets, passe.

 

Mais la colère de Merlin redouble :

 

Comment ! Me soutenir que mon air est pillé !

Un air délicieux, que j'estime, que j'aime,

Et que j'ai pris plaisir à composer moi-même

Dans Kimper-Corentin.

 

Cependant, l'amoureux Valère est caché dans l'étui du formidable instrument que Merlin traîne après lui.

 

Sotencour veut ouvrir l’étui, voir cet instrument bizarre, en jouer,

mais Lisette l'arrête :

 

Vous en jouerez fort mal. L'instrument est breton.

Nous sera-t-il permis d'ajouter à ces quelques citations, prises un peu au hasard, une anecdote plus ou moins risquée ?

 

Pourquoi pas ?

 

On a de l'esprit dans le pays de Noël du Fail et de Duclos, de Lesage

et de Fréron, et les gauloiseries mêmes n'y semblent pas

des crimes impardonnables.

Il s'agit d'une aventure arrivée, dit-on, à l'époque où fut inaugurée

la Bibliothèque dite aujourd'hui Bibliothèque nationale.

 

 

À partir de son installation dans la rue Richelieu,

la bibliothèque du roi fut une des curiosités de la capitale.

 

En 1770, lorsque l'illustre Franklin, envoyé près le gouvernement français,

vint la visiter, un de ses pseudonymes, originaire de Bretagne,

et qui avait essayé vainement de voir l'ambassadeur à son domicile de Passy, vint l'attendre à la sortie de la bibliothèque et lui présenta des papiers de famille par lesquels il prétendait lui prouver qu'il était son cousin-germain.

Malheureusement, l'orthographe de son nom venait à l'encontre de son dire, car il s'écrivait Franquelin, et tous les assistants de poursuivre de leurs quolibets le pauvre diable qui ne demanda pas son reste ;

mais le malheureux fut bien autrement déconfit lorsqu'il put lire ce petit conte en vers qu'on publia partout et qui obtint un succès de fou rire :

 

Un Breton nommé Franquelin,

Se croyant le cousin germain

Du savant de Philadelphie,

Vint à Paris de Quimper-Corentin

Pour compulser sa généalogie :

Voilà mon homme, convaincu

De son bon droit, qui déduit sa demande.

Monsieur, dit un plaisant, la différence est grande

Entre les noms, et l'on a vous déçu :

Le docteur pose un K et vous posez un Q.

La signature ainsi de tout temps fut écrite.

Mais pour vous tirer d'embarras.

De votre Q faites un K

Et vos papiers vous serviront ensuite.

 

Un peu graveleux, mais pas trop mal tourné !

 

En Bretagne, on riait et l'on ne se fâchait pas.

Tant d'illustres Bretons témoignaient à Paris

qu'on n'était point si sot en Bretagne !

 

Et Paris même avait encore le souvenir tout frais d'un excellent tour

que la Bretagne lui avait joué.

 

Vous souvenez-vous de la Métromanie de Piron, et de la Sapho de Quimper,

de Mademoiselle Mériadec de Kersic, aimée par Mondor,

qui échange avec elle des vers galants ?

 

C'est la mise en action d'une aventure très réelle dont le héros

fut le poète breton Desforges-Maillard.

 

Las de voir ses vers dédaignés tant qu'il les signa de son propre nom,

il emprunta le nom imaginaire de Mademoiselle Malerais de la Vigne,

et ses poésies allèrent aux nues, et Voltaire lui-même

fut bien près de s'enflammer pour la muse inconnue.

 

Quelle déception quand le sexe de l'auteur mystérieux fut révélé !

 

Allons, la Bretagne valait décidément mieux que sa réputation.

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Paul-Louis Courier de Méré,

Né le 4 janvier 1772 à Paris,

Mort assassiné le 10 avril 1825

près de Véretz,

Pamphlétaire français.

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Noël du Fail, seigneur de La Hérissaye,

Né vers 1520 dans la propriété familiale de Château-Létard à Saint-Erblon

Mort le 7 juillet 1591 à Rennes,

Juriste, magistrat et écrivain breton.

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Alain-René Lesage ou Le Sage,

Né à Sarzeau le 8 mai 16681

Mort à Boulogne-sur-Mer le 17 novembre 1747,

Romancier et auteur dramatique surtout connu comme étant l'auteur du roman picaresque Histoire de Gil Blas de Santillane.

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Élie Catherine Fréron,

Né à Quimper le 20 janvier 1718

Mort à Montrouge le 10 mars 1776,

Journaliste, critique littéraire et polémiste

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Paul Desforges-Maillard,

Pseudo Mlle Malerais de la Vigne

Né au Croisic le 24 avril 1699

Mort le 10 décembre 1772,

Poète français.

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