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Fenêtres sur le passé

1882

Le cuirassé la Dévastation

Source : Le Finistère août 1882

Illustrations Gallica

 

1882 – Le cuirassé La Dévastation

 

Nous trouvons dans une chronique du Temps, de M. Jules Clarelie, les intéressantes lignes que voici :

Je reviens de la pointe du Finistère.

 

J'ai vu, prêt à partir de Brest, le plus beau cuirassé

qui soit aujourd'hui sur l'eau, au dire des Anglais eux-mêmes.

 

C'est la Dévastation.

 

La Dévastation, vaisseau amiral, à l'heure qu'il est,

vient d'arriver devant Quiberon

avec les autres navires faisant partie de l'escadre de réserve.

 

En apercevant, au large, la dentelle de ces mâtures,

on peut avoir l'illusion du spectacle que présentait cette baie,

il y a quatre-vingt-sept ans, lorsque les émigrés de l'armée

de Sombreuil, de Talhouët et de d'Hervilly y débarquaient

pour y mourir.

 

La flotte anglaise apparaissait ainsi dans les eaux de Quiberon.

 

Immobile pendant la bataille, et quelques jours plus tard,

lorsqu'un ministre britannique, partisan de la non-intervention,

disait, pour se louer du désastre : « Le sang anglais n'a pas coulé !», Sheridan, indigné, lui répondit, avec son éloquence d'homme de lettres : «Oui, mais l'honneur anglais a saigné par tous les pores !»

 

J'ai visité la Dévastation, qui, de la rive,

fait la joie de toutes les lorgnettes de Carnac à Quiberon.

 

C'est comme une ville mouvante, une caserne sur l'Océan.

 

Tout y reluit,

tout flamboie dans une propreté de cuivrerie hollandaise.

 

Les hommes d'équipage, bien découplés,

montent aux vergues avec une rapidité de gymnasiarques.

 

Pas un grain de poussière sur les armes, pas une tache sur le pont.

 

Ce luxe de netteté est d'ailleurs commun

à tous les équipages de la marine.

 

Ce qui fait l'originalité redoutable de la Dévastation,

c'est son armement.

 

Quatre énormes canons de trente-quatre centimètres dans la tour, allongent leurs farouches cous noirs.

 

Une de ces pièces pèse avec son affût 80,000 kilos.

 

Il faut 117 kilogrammes de poudre pour la charger.

 

Un de ses boulets pèse 400 kilos, un obus 350.

 

Et ces quatre gigantesques pièces,

dont le gargoussier a presque la taille d'un homme (1 m. 50),

ne sont pas seules sur un navire comme la Dévastation.

 

Il y a encore quatre canons de 27,

et du poids de 24,000 kilos chaque.

 

C’est comme un arsenal mouvant, confié à la mer,

et dont les obus, peints en blanc et en rouge,

ont je ne sais quelle coquetterie sinistre,

avec leurs pointes à percussion.

 

Et les torpilles !

elles sortent, allongées comme des poissons,

de ces longues pièces noires qui coulent leur col

dans les embrasures.

 

Ce sont ces torpilles qui, en faisant trou dans le fond de la mer,

ont révélé naguère l'existence d'espèces ignorés de poissons vivant sous le sable, phosphorescents

et s'éclairant eux-mêmes par la tête.

 

Les instruments de mort servent ainsi à nous révéler les secrets cachés de la vie.

 

Tout récemment d'autres animaux ont payé, au contraire,

leur tribut à l'art de la guerre.

 

Pour se rendre compte précisément de l'effet de ces torpilles,

on a embarqué dans un vieux bateau, en rade de Brest,

un bœuf, un veau et trois moutons,

et l'on a torpillé le tout, à la grande joie des curieux brestois.

 

Moutons et bœuf ont sauté en l'air comme le navire.

 

On n'en a même pas retrouvé les miettes.

 

La Dévastation, si admirablement armée,

avec des officiers et un commandant si pleins d'ardeur,

n'a pas d'histoire encore.

 

C’est un cuirassé né d'hier ; deux ans, c'est hier pour un navire.

 

M. l'amiral Thomasset, qui a, dans la marine,

la réputation d'être le plus aimable des officiers généraux,

mène la Dévastation dans la baie de Quiberon pour essayer

ces fameux canons de 34 qui se chargent mécaniquement

par un treuil.

 

Les échos de Carnac et du fort Penthièvre

vont se réveiller comme au jour de juin 1795

lorsque tonnait le canon de Lazare Hoche !

 

Ah ! bon Dieu ! que serait l'artillerie de Hoche ? — un joujou — comparée à ces gigantesques pièces toutes noires

comme des machines de deuil.

 

Et que dirait Jean-Bart s'il revenait au monde en voyant

qu'on charge à présent sur les navires des canons dont un seul pèserait presque le poids d'un bateau de guerre de son temps ?

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