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Fenêtres sur le passé
1879
Quimper au XVIIe siècle
Source : Le Finistère février 1879
Quimper au XVIIe siècle
…. C’est à la campagne
Près d’un certain canton de la Basse –Bretagne
Appelé Quimper-Corentin ;
On sait assez le destin
Adresse là les gens, quand il veut qu'on enrage.
Dieu nous préserve du voyage !
Combien de fois n'a-t-on pas reproché, non sans raison, ici et ailleurs,
à Jean La Fontaine, cette condamnation injuste dans sa dédaigneuse ironie,
portée par lui contre un pays et une ville qu'il ne connaissait pas ?
Jean La Fontaine
Le bonhomme n'est peut-être pas si coupable qu'on l'a fait, ni l'épigramme aussi méchante qu'elle le semble d'abord.
Sans doute l'éloignement et l'extrême difficulté des communications n'ont pas peu contribué à donner à Quimper
ce mauvais renom, si peu mérité, nous osons le dire.
Ce n'étaient pas les charretiers seulement qui demeuraient embourbés alors dans nos chemins impraticables.
Mme de Sévigné, qui hasardait sa précieuse personne dans de fréquents voyages, féconds en péripéties,
jusqu'aux Rochers, près de Vitré, ne se sentait pas le courage d'aller plus avant ;
elle laissait à son fils, dont la jeunesse était prête à tout braver, le périlleux honneur d'aller recevoir un accueil triomphal à Quimper, où la bonne société du temps le dédommageait amplement, ce semble (sic),
des ennuis du voyage.
Encore les Sévigné étaient-ils bretons d'origine, alliés à toutes les familles
de la Haute et Basse-Bretagne.
Avec quelle terreur plus légitime encore les étrangers envisageaient-ils les aventures d'une pareille odyssée !
Pourtant, notre pays était, au XVII" Siècle, moins inconnu que nous ne pourrions
le croire.
Beaucoup de gens le connaissaient, qui auraient voulu sans doute
ne jamais le connaître.
Quimper en effet n'était pas seulement à cette époque le bout du monde, ultima Thule, comme on l'appelait alors, et comme l'appelait encore naguère Sainte Beuve.
Marquise de Sévigné
C’était un lieu d'exil des plus habituels, et, par conséquent, des plus redoutés.
On y reléguait, avec une facilité surprenante, tous ceux qui, par leurs actes, par leurs paroles, surtout par leurs écrits, avaient armé contre eux la toute-puissance arbitraire du prince, de ses favoris ou de sa favorite.
Ainsi, le cardinal de Retz, qui se sauva plus lard si prestement de la prison de Nantes, fut sur le point d'être exilé, interné comme on dirait aujourd'hui, à Quimper,
et peu s'en fallut que le belliqueux coadjuteur n'allât continuer la fronde
au fond de la Basse-Bretagne, où ses galanteries fort peu ecclésiastiques
eussent pu sembler étranges.
C'est à Quimper que le père Caussin, confesseur de Louis XIII, coupable d'avoir favorisé les amours du roi et de Mlle de Lafayette, était allé méditer sur l'inconvénient
de prendre trop à la lettre les préceptes moraux d'Escobar.
Et puisque ce nom, qui a aujourd'hui un regain de célébrité équivoque,
revient sous notre plume, c'est l'occasion d'ajouter que, dans la seule querelle entre
les Jésuites et les Jansénistes, les exils à Quimper se multiplièrent plus que jamais :
vers 1654, le janséniste du Hamel y vint passer six ans ;
en 1664, une lettre de cachet y exile le célèbre Singlin, le directeur
de Mme de Longueville, qui préfère la fuite à ce voyage forcé ;
en 1679, un autre janséniste, Thaumas, après huit mois de Bastille, et deux mois
de séjour à Quimper, y meurt à l'âge de soixante ans.
L'un des chefs de Port-Royal, un savant qui était presque un saint, Lancelot,
exilé, lui aussi, à Quimper, puis à Quimperlé, succomba en Bretagne
à un long martyre de quinze années.
Dès lors, s'explique mieux le souhait de La Fontaine :
Dieu nous préserve du voyage !
On savait assez, en effet, et même trop, que le destin, sous la forme
d'une lettre de cachet, adressait là des gens qui enrageaient d'autant plus d'y être, qu'ils n'y étaient pas de leur plein gré.
Est-il invraisemblable de croire que le bonhomme fait allusion à ces voyageurs involontaires, dont plusieurs lui étalent particulièrement connus ?
Quimper était une prison ;
si attrayante qu'elle soit, trouvez donc une prison qui ait des charmes
pour les prisonniers !
Ces réflexions, qui ne sont ni paradoxales, ni même, il faut l'avouer,
tout à fait nouvelles, nous venaient à l'esprit, à la lecture d'un passage
de Mme de Motteville (Mémoires, t. 39, p, 334, coll. Petitot)
où le jugement de La Fontaine est à la fois confirmé et contredit.
En 1654, lorsque l'omnipotence royale s'établit sur les ruines accumulées
par la guerre civile, plusieurs des membres du Parlement qui avaient
le plus énergiquement lutté pour le triomphe de la Fronde, furent dispersés
aux quatre coins de la France.
La suivante fidèle et l'amie d'Anne d'Autriche plaint le triste sort de l'un d'entre eux, exilé à Quimper :
Cardinal de Retz
Nicolas Caussin
Antoine Singlin
Françoise Bertaut de Motteville
« Un d'eux fit pitié à toute la compagnie, à cause qu'il allait à Quimper-Corentin, en Basse Bretagne ;
parce que les choses qui ne se connaissent point sont, pour l'ordinaire, jugées ou plus mauvaises ou meilleures
qu'elles ne le sont.
Au retour du Louvre, avant que de me retirer en mon appartement du Palais-Royal, j'allai rendre mes devoirs
à la reine d'Angleterre.
Je lui contai l'histoire du jour.
Elle me fit l'honneur de me dire, en se moquant de moi,
que Quimper-Corentin était le plus agréable séjour du monde.
Elle y avait passé en venant d'Angleterre en France, et m'en fit une si belle description, tant de sa situation
que de la bonne compagnie qu'elle y avait vue, qu'elle me fit quasi estimer heureuse la destinée de l'exilé ;
ce qui me fit conclure avec le poète italien :
Ch'a valent ' huomo ogni pacse e patria.
(L'honnête homme trouve en tout pays sa patrie)
De ce petit récit l'on peut tirer deux conclusions :
d'abord, c'est que La Fontaine n'était pas le seul à craindre une villégiature forcée
à Quimper, et que ces craintes avaient leur raison d'être ;
ensuite, c'est qu'on haïssait, non Quimper lui-même,
mais l'idée qui semblait inséparable de son nom.
Il ne serait pas malaisé de recueillir, soit à cette époque, soit à toute autre,
des témoignages favorables à ce Quimper, dont on a voulu faire une ville, ridicule,
sur la foi des vers mal compris du fabuliste.
Henriette de France
Reine d'Angleterre
On rapprocherait ainsi des noms qui seraient fort étonnés de se voir réunis, depuis Henriette de France
jusqu'au girondin Louvet, dont les bois de Penhars furent la retraite, depuis le marquis de Sévigné
jusqu'à M. Charles Monselet, qui s'est donné la tâche facile de réhabiliter Quimper.
Mais le témoignage le plus flatteur sera toujours celui de cette reine d'Angleterre,
dont Bossuet a fait l'oraison funèbre.
Femme de Charles 1er, menacée dans son pouvoir et même dans sa vie, Henriette, lorsqu'elle débarqua
au port de Brest, lorsqu'elle traversa ce qui devait s'appeler le Finistère, n'avait pas le cœur à la joie.
Quimper eut le privilège de la retenir et de la distraire quelque temps.
La ville républicaine d'aujourd'hui peut, sans honte, s'enorgueillir d'avoir été vengée des railleries de La Fontaine
par la fille d'Henri IV.