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Fenêtres sur le passé

1879

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À propos de perruques

Source : Le Petit Brestois mars 1879

 

À propos de perruques

 

La mode vient de décréter une révolution dans les perruques, et nous manquerions à tous nos devoirs

si nous ne prenions aux cheveux l'occasion de disserter de choses dont nous ne méconnaissons pas la gravité.

 

Nous nous contenterons d'enregistrer simplement le fait sans l'accompagner de commentaires.

 

La question est semée d'écueils ;

nous la tournerons prudemment, et nous nous abstiendrons de rechercher si les chevelures

que nos Brestoises promènent tapageusement sur le Champ-de-Bataille, les jours de musique,

frisent l'extravagance ou le ridicule.

 

Hier il était de mode de porter de monstrueux chignons récoltés sur je ne sais combien de têtes,

de se coller sur la nuque de véritables paquets de crins ;

demain toutes ces chevelures, condamnées irrévocablement, déguerpiront et seront soigneusement serrées

et emmagasinées dans les tiroirs de la commode et y dormiront jusqu'au jour de la résurrection.

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Cet état insurrectionnel de nids en querelle ne pouvait se prolonger sans compromettre la quiétude des ménages.

 

La mode est venue régler et raccommoder les différends, elle a coupé le mal et les cheveux dans leurs racines :

tout est bien qui finit bien.

 

Beaucoup de gens s'imaginaient que ces faux chignons, que ces nattes postiches qui se déroulaient

si voluptueusement sur la nuque des Brestoises, étaient la dépouille des jeunes filles rustiques,

séduites par les perruquiers roublards.

 

Il suffisait, disait-on, d'un mouchoir bariolé, d'un colifichet, d'un bibelot quelconque pour exciter les convoitises

de ces innocentes, pour les ensorceler, pour les décider à faire le sacrifice de leurs ornements.

 

Et l'on s'attendrissait sur le sort de ces pauvresses ;

elles ne s'étaient donc jamais regardé dans un miroir ;

une femme dépouillée de cheveux, atteinte de calvitie, mais c'est un objet repoussant, c'est le comble de la hideur,

de l'horreur ;

songez donc, un crâne pelé, nu, aussi luisant et aussi poli que le genou !

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Certes, les femmes n'auront pas la peine de s'arracher les cheveux,

elles ne subiront pas l'humiliation de livrer leurs nattes opulentes,

mais postiches, aux artistes capillaires chargés de les trancher par le fer ;

en un tour de main on aura démoli l'échafaudage et remisé tous ces décors, tous ces accessoires devenus inutiles.

 

Hommes et femmes se soumettront sans rechigner, sans maugréer,

au despotisme de ces arrêts qui proscrivent la papillote :

les hommes parce qu'ils l'économiseront et ne seront plus horripilés

par la vue de ces édifices pyramidalement bêtes,

de ces toisons prétentieuses ;

les femmes, parce qu'elles maudissaient tout bas ces appareils

dont la construction dévorait leur temps et leur crispait les nerfs.

 

Il fallait chaque soir tortiller des mèches rebelles, tordre des papillotes,

les enrouler sur des cylindres de bois,

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et cent fois le matin on s'impatientait, on frappait le parquet d'un pied rageur, et pendant ce temps-là les côtelettes de Monsieur rissolaient et se convertissaient en charbon, les marmots braillaient et piaillaient,

et le mari s'emportait comme une soupe.

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C'est à frémir d'horreur.

 

Vous auriez beau réunir en vous les charmes les mieux conditionnés, être propriétaire d'une paire d'yeux les plus assassins,

sans chevelure vous ne serez jamais qu'une difforme guenon !

 

Mais tranquillisons-nous.

 

Il faudrait pour approvisionner chaque année la France de cheveux, couper 15.000 têtes, ou plutôt raser 15,000 chevelures !

 

Cessons donc de poétiser ce sacrifice ;

nos paysannes sont madrées, elles savent marchander et débattre

le prix, et si vous avez assisté à l'opération qui se pratique

dans les foires, vous avez dû voir qu'il faut autre chose

qu'un simple colifichet pour déterminer ces innocentes

à se laisser scalper par les industriels de la chevelure.

 

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Elles grimpent sur des futailles, laissent flotter et éparpillent leurs nattes sur leurs épaules et les mettent à l'enchère.

 

Il faut donc beaucoup en rabattre sur une innocence que l'on ne carotte pas.

 

D'un autre côté, si l'on se contentait d'opérer quelques têtes, l'exploitation de cette branche d'industrie en France,

et qui se chiffre par millions, n'aurait jamais pris le développement qu'elle a acquis.

 

Comment donc s'y est-on pris pour satisfaire aux exigences impérieuses de la mode ?

 

Le matin, lorsque les femmes se démêlent devant leur toilette, elles déracinent

malgré toutes leurs précautions délicates, quelques crins embrouillés ;

elles roulent alors avec dextérité ces cheveux sur leurs doigts, et les enveloppent dans des morceaux de papier

qui s'en vont rejoindre dans les bourriers les épluchures de carottes et de navets déposées sur la voie publique.

 

Des bandes de chiffonniers, exercés et dressés à ce genre de recherches, promènent la nuit leurs crochets,

leurs lanternes et leur appendice nasal au milieu de ces immondices, et après avoir farfouillé ces tas nauséabonds, achevé leur moisson peu odoriférante, l'apportent aux perruquiers qui l'utiliseront après l'avoir désinfectée.

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Ces cheveux ainsi récoltés passent par diverses opérations :

on les roule dans du son pour les décrasser, les dégraisser,

les débarrasser de tous ces éléments hétérogènes qui gluent

et poissent aux doigts, pour les nettoyer de toute la vermine

et des habitants qui y ont élu domicile, puis on les carde,

on les classifie suivant la longueur, l'épaisseur, les nuances,

on en fait le triage, et c'est ainsi que se confectionnent ces belles

et splendides chevelures, ces nattes si soyeuses et si souples

dont s'enorgueillissent nos coquettes,

et dont elles ne soupçonnent assurément pas l'origine.

 

Faisons cependant entrer en ligne de compte les maisons religieuses qui débitent les chevelures des nouvelles recrues et recluses.

 

Au moyen-âge, on avait l'habitude de profaner les tombeaux

et de porter une main sacrilège sur les personnes décédées ;

mais la loi moderne exercerait les représailles les plus rigoureuses contre quiconque aurait la hardiesse de toucher

à un seul cheveu d'un mort.

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C'est à propos de ces profanations que Grégoire de Naziance, Jérôme, Astèri et autres prédicateurs, grommelaient, tonnaient et fulminaient des excommunications contre les perruques, que Clément d'Alexandrie gourmandait

les femmes qui accommodaient à leur tête les cheveux des morts.

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Nous pourrions, si nous avions envie de faire montre d'érudition, raconter toutes les vicissitudes de la mode,

et dire, par exemple, que dans l'antiquité on avait l'habitude de se couvrir de faux cheveux,

énumérer les Conciles qui ont traité de la chevelure, nommer les docteurs célèbres,

illustrés par leur science et leur savoir, qui ont publié de graves et solennelles dissertations sur ces questions frivoles ; nous pourrions, dans une revue intéressante, dire qu'en 1523 on se coiffait en chenilles, en ailes de pigeon ;

que sous Henri IV la coiffure en cœur avait la vogue ;

Nous préférons borner notre conversation

et l'arrêter par une réflexion d'un moraliste contemporain ;

« En vérité, je vous le dis, si au jour du jugement dernier, pour paraître devant le maître,

chacun est obligé de rassembler tout ce qui fait partie de son propre individu,

je ne sais vraiment pas comment les femmes feront pour s'y reconnaître. »

 

C. P.

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que Gabrielle d'Estrées, la charmante Gabrielle,

avait inauguré les raquettes ;

que la Fontange, en 1680, mit à la mode une coiffure qui fit fureur, composée d'une carcasse de fil de fer,

à laquelle on adaptait toutes sortes d'ornements ;

que les coiffures et les panaches à la Quèsaco, à l'asperge,

à la frégate et montant à l'escalade du ciel,

prédominèrent sous Louis XVI ;

que les marquises et les duchesses de la cour étaient panachées

et emplumées au point d'être contraintes de s'agenouiller

dans leurs carrosses.

 

Mais nous n'apprendrions rien à nos lectrices,

et toute cette histoire fourrée d'anecdotes dont on composerait

un volume, excéderait les limites d'une modeste chronique.

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