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1875
La Réformation de la noblesse sous Louis XIV
Source : Le Finistère mars 1875
1875 – La Réformation de la noblesse sous Louis XIV
Nous allons résumer un mémoire plein d'intérêt sur la réformation de la noblesse au XVIIe siècle,
que notre compatriote, M. du Châtellier, correspondant de l'Académie des Sciences morales et politiques,
a lu sur ce sujet dans les séances du 5 et du 6 février 1875.
Armand René du Châtellier ou Armand René de Maufras du Châtellier,
Né le 7 avril 1797 à Quimper
Mort le 27 avril 1885 au château de Kernuz à Pont-l'Abbé,
Archéologue, historien et économiste français.
Maire de Pont-l’Abbé 1874-1877
Inspecteur départemental des enfants assistés
Fondateur du journal Le Quimperois
L'ordre de réformation fut donné pour tout le royaume en 1668.
La mesure visait des abus aussi nombreux que criants.
Elle fut accueillie par une explosion de plaintes très-vives ;
l'archevêque de Toulouse, entre autres, président des États du Languedoc,
osa dire tout haut qu'on voulait ruiner la noblesse et qu'on y réussirait.
Le roi passa outre à toutes les oppositions ;
il était résolu à ramener à l'acquittement de l'impôt la foule d'intrigants qui s'étaient indûment faufilés
dans les rangs du premier ordre ;
il voulait aussi réduire le nombre de ces gentilshommes, faux ou vrais,
qui ne se bornaient pas à entraver la rentrée des subsides, et qui obstruaient les avenues des pouvoirs publics.
M. Du Châtellier s'attache spécialement à faire l'histoire de la réformation de la noblesse de Bretagne,
commencée en 1670 par une commission du Parlement de Rennes de dix-huit- membres
ayant pour président M. d'Argouges.
Pendant le temps que dura son travail, partout les huissiers coururent sur les routes,
portant jusque dans les paroisses les plus reculées les interlocutoires lancés par elle.
Puis vinrent les débats publics souvent interrompus par de longs délais et enfin l'arrêt qui maintenait les interloqués dans la possession de leurs titres et privilèges, ou au contraire les en dépouillait et les condamnait à l'amende.
Quelquefois les parties, ayant succombé dans un premier débat,
étaient admises par requête à courir les chances d'un second débat ;
et alors, nouvelle audience et nouvelle production de pièces.
Après quoi la commission statuait définitivement par un arrêt qu'il n'était pas rare d'attendre
jusqu'à trois et quatre ans.
Enfin quelques arrêts étaient déférés en dernier recours ou conseil d'État ou à la cour des aides, siégeant à Paris,
qui pouvaient infirmer la validité des décisions premières ;
si bien que quelques familles ne furent réhabilitées qu'à la fin du siècle, et même beaucoup plus tard,
puisqu'en 1696 et en 1702 de nouveaux édits furent promulgués contre les usurpateurs de litres,
et le chiffre de l'amende porté jusqu'à 2,000 fr.
Ces mesures, extrêmes, il est vrai, n'atteignirent pas le but, et l'on dut réduire l'amende à 300 fr.
Les faux gentilshommes continuaient à se multiplier ;
les tribunaux ne pouvaient suffire à réprimer cette manie, et l'on voit encore aujourd'hui,
aux archives des États de Rennes, un registre compacte où sont minutés, de 1669 à 1722,
les procès-verbaux de saisies opérées sur les biens des usurpateurs qui,
quarante ans après la réformation de 1668, n'avaient pas encore payé l'amende.
Charles-François
d'Anglure de Bourlemont
Archevêque Toulouse
M. du Châtellier a relevé sur ce registre les noms de 76 retardataires.
L'extrême rigueur déployée par les commissions d'enquête
ne laissait pas de se relâcher parfois singulièrement.
D'abord envers elles-mêmes en accordant sans examen,
à leurs propres membres, des brevets de chevalier et d'écuyer ;
puis envers certaines familles qui se bornaient à produire leurs écussons, en affirmant, sans autre preuve, leur parenté
avec d'autres familles déjà reconnues.
Par contre, les dénonciations n'étaient pas rares ;
et plus d'une famille fut victime de la méchanceté ou de l'envie
qui saisissait avec empressement un facile moyen de la perdre
ou de nuire tout au moins à sa considération.
M. du Châtellier donne à entendre que la réformation de 1668
suscita d'assez nombreux ennemis à l'ancien régime ;
il remarque que plusieurs des personnages qui figurèrent dans les assemblées de la révolution ou qui, à divers titres et à divers lieux, prirent part au mouvement de 1789 et de 1792
étaient des descendants de ceux qui, en 1668,
avaient été durement stigmatisés par les cours et les parlements.
Outre plusieurs représentants de nos assemblées souveraines, qui appartenaient à cette catégorie,
il s'en trouve, dit-il, beaucoup dans les conseils de district et de département,
et il en pourrait signaler un qui se désigna lors de la journée du 10 août comme commandant les fédérés
d'un département éloigné de Paris.
Aujourd'hui encore il existe des familles qui protestent avec amertume contre l'injustice des arrêts
qui les ont frappées il y a deux siècles.
Cela prouve, selon M. du Châtellier, que même dans une société démocratique comme la nôtre,
il n'est pas indifférent de savoir ce que furent les ancêtres de telle ou telle personne,
et l'auteur du mémoire voudrait que les historiens se missent en peine de rechercher
quels ont été les ascendants de plusieurs des hommes qui ont exercé une action importante
sur les destinées de la nation.
Les arrêts de la commission chargée de la réformation qui nous ont été conservés sont contenus
dans trois volumes in-folio manuscrits.
Voici le résultat de leur dépouillement :
Pour 5,084 familles reconnues de noble origine après production de titres,
nous en voyons 2,683 écartées, les unes (au nombre de 1,620 avec amende de 100 livres)
parce qu'elles se désistèrent de leurs prétentions,
les autres (au nombre de 1,065 ;
parce qu’elles furent déclarées en état d'usurpation et condamnées de ce chef à 400 livres d'amende.
Ces chiffres permettent d'évaluer à environ 12 à 13,000 personnes le nombre de ceux qui, en Bretagne,
à la fin du dix-septième siècle, pouvaient se prévaloir de la qualité de gentilshommes.
Cela fait 5 % de la population totale.
Les prétendants au titre et aux privilèges de la noblesse formaient de leur côté une masse de 13 à 14,000 individus, et ceux des déboutés que l'on connait ne représentent pas tous les prétendants.
On évalue à environ 15,000 le nombre des faux nobles du Languedoc.
Les faux nobles (les registres en font foi) appartiennent presque exclusivement à la classe moyenne,
à la bourgeoisie, surtout aux avocats du Parlement, un petit nombre au clergé.
Tous se prévalaient des terres qu'ils possédaient et dont ils portaient les noms.
Quelques-uns, enrichis par le trafic ou l'industrie,
avaient acheté à la noblesse, appauvrie par les croisades
et les autres guerres, des terres, et avaient fini par se substituer
plus ou moins complètement aux anciennes familles
qu'ils remplaçaient dans leurs propriétés.
Le résultat de la réformation fut de réduire très-sensiblement
le nombre des familles inscrites sur les rôles de la noblesse.
Celle-ci, malgré des accessions nouvelles,
alla dès lors s'affaiblissant de jour en jour,
exposée de plus en plus aux attaques de la bourgeoisie.
À ce point de vue,
la réformation de 1668 n'aurait pas été étrangère
au grand mouvement de 1789.
M. du Châtellier entrevoit d'ailleurs, dans un avenir assez prochain,
la disparition à peu près complète de la noblesse.
En 1789. Sieyès estimait que le nombre des personnes de qualité en France devait être de 110,000 ;
Lavoisier ne le portait qu'a 83,000.
En partant des données fournies par la réformation de 1668 en Bretagne, cette province aurait eu alors 2,084 familles nobles.
En 1862, il n'en restait plus guère que 600, d'après M. Potier de Courcy, auteur de l'Armorial de Bretagne.
Supposant deux branches à chaque famille et trois mâles par branche,
on arriverait à 3.600 gentilshommes bretons,
et comme la Bretagne représente le douzième de la population
de la France, on trouverait, pour le pays entier, le chiffre approximatif
de 7,200 familles, comprenant 43,200 gentilshommes.
Mais il ne faut pas oublier que la Bretagne est avec la Normandie
et le Languedoc une des parties de la France où il y a le plus de noblesse ; de sorte qu'en multipliant par 12 le nombre des gentilshommes bretons,
on arrive, pour l'ensemble du pays, à un résultat exagéré.
M. du Châtellier ajoute qu'en Bretagne et ailleurs nombre de familles nobles se sont trouvées rejetées par les hasards de la fortune
jusque dans les derniers rangs de la société.
« Nous en connaissons, dit-il, qui, ayant des attaches notoires aux croisés
et aux vaillants héros du combat des Trente,
vivent obscurément dans quelque bureau de tabac,
ou sont allés se cacher aux champs où eux et leurs enfants ont oublié
jusqu'à leur langue maternelle pour ne parler que le breton».
L'auteur revient ensuite sur l'intérêt que présentent,
au point de vue historique, les registres contenant,
avec les arrêts de réformation, de curieux et utiles renseignements
sur l'origine et les actes des principales familles de chaque contrée.
Il suit une des familles nobles de la Bretagne depuis l'année 1191,
où elle apparaît pour la première fois,
dans la personne d'un certain Rivallon de Rosmadec,
jusqu'à la fin du dix-septième siècle, et il montre plusieurs de ses membres se distinguant avec plus ou moins d'éclat
dans les commandements militaires, dans l'Église, dans la politique.
Il aborde en dernier lieu le côté financier de la réformation de 1668,
et il estime que l'ensemble des amendes prononcées contre les usurpateurs des différentes régions de la France s'éleva à plus de deux millions de livres, mises à la charge des 800 ou 900 familles déboutées.
En Provence, le produit des amendes fut de 63.000 livres.
Emmanuel-Joseph Sieyès
ou l'abbé Sieyès
Né le 3 mai 1748 à Fréjus
Mort le 20 juin 1836 à Paris,
Homme d'Église, homme politique et essayiste français,
Surtout connu pour ses écrits et son action pendant la Révolution française.
Directeur, il est, au début du Consulat, consul provisoire.
Président du Sénat conservateur
Comte de l'Empire.
Antoine Laurent Lavoisier,
Né le 26 août 17431 à Paris
Guillotiné le 8 mai 1794 à Paris,
Chimiste, philosophe, économiste
Souvent présenté
comme le père de la chimie moderne
Pol Potier, baron de Courcy
Né 26 janvier 1815 à Landerneau
Mort 29 avril 1891 à Saint-Pol-de-Léon
Auteur de l'ouvrage de référence
sur les familles nobles de Bretagne
pendant l'Ancien Régime.
Son œuvre, Nobiliaire et Armorial
de Bretagne est paru en trois tomes
à partir de 1846.
En Bretagne, il n'y avait que deux amendes : l'une de 100, l'autre de 400 livres.
En Normandie, elles variaient depuis 30 jusqu'à 2,000 et 3,000 livres.
C'était le célèbre Chamillard qui instrumentait dans cette province, et il parait que
les déboutés étaient condamnés à rembourser au Trésor tout l'arriéré des impôts auxquels ils s'étaient soustraits.
M. du Châtellier termine en disant qu'à quelque point de vue qu'on les considère,
les registres de la réformation de 1668 méritent d'être conservés comme de précieux monuments de notre histoire.