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Fenêtre sur le passé
1875
Les instituteurs primaires en France
Source : le Finistère janvier 1875
Les instituteurs primaires en France.
En 1794, durant cette Révolution que M. Dupanloup accusait naguère d'avoir éteint
« la flamme », un représentant du peuple,
Lakanal, présentait un projet de loi sur les instituteurs primaires.
Voici quels étaient les articles 10 et 11 de ce projet :
Lakanal
par Achille Lemot
Art. 10.
— Le salaire des instituteurs est fixé à 1,200 livres pour les instituteurs et à 1,000 livres pour les institutrices.
Néanmoins, dans les communes dont la population dépassera 30,000 habitants, le traitement de l'instituteur sera de 1,500 livres et celui des institutrices de 1,300 livres.
Art. 11.
— La nation accordera aux citoyens qui auront rendu de longs services à leur pays dans la carrière de l'enseignement, une retraite qui mettra leur vieillesse à l'abri du besoin.
Depuis le jour où Lakanal présentait le projet dont nous venons de citer deux articles, bien des gouvernements se sont succédés en France.
Il n'en est aucun qui ait fait pour les Instituteurs autant que ce que le gouvernement républicain de 1794 se proposait de faire.
On peut affirmer au contraire, que la plupart des administrations politiques qui ont passé sur le pays n'ont eu qu'un médiocre souci du sort des hommes chargés d'élever et d'instruire l'immense majorité des Français.
Sous le premier empire, tout est sacrifié au budget de la guerre : on donne sans compter à ce qui tue et détruit ; on refuse à peu près tout à ce qui moralise et vivifie.
Sous la Restauration, l'instruction laïque est traitée en ennemie.
Les congrégations religieuses obtiennent seules les faveurs du gouvernement.
Sous Louis Philippe, grâce surtout à M. Guizot, la situation des instituteurs s'améliore ; mais combien les progrès réalisés sont insuffisants :
on le verra tout à l'heure par les chiffres que nous citerons.
Sous la troisième République, les instituteurs, d'abord magnifiquement loués par
MM. Carnot et Jean Reynaud sont bientôt, par suite de l'influence cléricale grandissante regardés comme des suspects, des ennemis, des athées et des démagogues.
François Guizot
par Félix Nadar
Un des hommes qui ont essayé de faire le plus de mal à l'instruction laïque, c'est M. de Falloux,
l'un des inspirateurs des députés qui réclament à cette heure, la liberté de l’enseignement supérieur.
Accordons à M. Duruy cette justice qu'il fit, sous Napoléon III, de nombreux efforts
pour rendre plus louable la position des instituteurs.
Mais constamment il se heurta au mauvais vouloir du Sénat,
où siégeaient les cardinaux et certains archevêques.
De plus, l'influence de ce qu'on a nommé « la politique de l'impératrice »
lui fut toujours défavorable.
Pendant que M. Thiers était au pouvoir, M. Jules Simon se préoccupa, avec la plus vive sollicitude, d'augmenter le traitement des éducateurs du peuple, de relever et d'élever leur condition devant les populations et le pays.
— Malheureusement le 24 mai arriva, et le 24 mai n'avait pas précisément
dans son programme le triomphe de l'enseignement laïque.
Pourtant l'état de pénurie des instituteurs est tel qu'on a compris
— même dans le centre droit — qu'il était impossible de n'y point porter remède.
Alors est venue la proposition de M. Maurice, qui n'est guère que la proposition
de M. Jules Simon, légèrement transformée et amoindrie.
Pour se rendre exactement compte de la nécessité de voter cette proposition,
il est indispensable de jeter un coup-d’œil sur la situation présente des instituteurs
et des institutrices en France.
Victor Duruy
Jules Simon
Voici quelle est aujourd'hui la situation pécuniaire faite aux instituteurs et institutrices :
Instituteurs titulaires.
Ayant moins de 5 ans d'exercice. 700 fr
Ayant plus de 6 ans d'exercice. 800 fr.
Ces traitements peuvent être élevés à 900 fr. après dix ans, à 1,000 fr. après quinze ans ;
mais le nombre des instituteurs qui jouissent de cette augmentation ne peut dépasser le vingtième du nombre total des instituteurs de chacune de ces deux catégories.
Institutrices titulaires.
2e classe. 500 fr.
1e classe. 600 fr.
Une institutrice ne peut s'élever à la 1e classe qu'après trois ans passés dans la 2e classe.
Jusqu'au 1er janvier 1873, le traitement des institutrices adjointes était de 350 fr. seulement :
moins de 1 fr. par jour !
Certes, un pareil traitement est dérisoire, si on songe que l'instituteur et l'institutrice sont obligés
à de certaines dépenses, qu'on pourrait appeler l'impôt du décorum.
Il faut qu'ils soient vêtus avec une élégance relative : ils ne peuvent pas, comme le laboureur, l'ouvrier,
porter des sabots, une blouse.
Ils doivent, pour être l'objet du respect des enfants, éviter d'offrir le spectacle de la misère, du dénuement.
Ils sont en relation avec le maire, le curé, l'inspecteur.
En outre, le métier, ou plutôt la mission qu'ils remplissent est délicate, fatigante, exténuante parfois.
Eh bien ! Ce traitement misérable de 600 fr., n'est rien moins qu'un traitement assuré
et qu'on peut toucher à jour fixe.
Ce traitement se compose, dans la plupart des cas :
1° D'un traitement fixe de 200 ou 300 francs ;
2° Du produit de la rétribution scolaire ;
3° Du traitement éventuel.
(On appelle ainsi la somme payée par la commune pour les élèves gratuits qu'elle entretient à l'école.)
Le taux de la rétribution à payer pour chaque élève gratuit est fixé par le conseil départemental ;
4° Enfin d'un supplément prélevé sur les fonds de la commune d'abord, du département ensuite,
et enfin, s'il y a lieu, de l'État pour garantir aux instituteurs le minimum fixé par la loi.
Mais ce produit éventuel c'est le percepteur qui le touche.
Et s'il éprouve des retards, s'il ne peut faire rentrer que lentement les sommes dues à l'école par les familles,
c'est l'instituteur et l'institutrice qui doivent souffrir de ces retards.
Tant pis pour eux ; ils attendront !
Ils auront pour vivre pendant un mois trente francs, quarante francs, quelquefois moins.
Si cette somme ne suffît pas, ils devront s'imposer des privations ou s'endetter...
Est-ce qu'un pareil état de choses est plus longtemps tolérable ?
Comment, c'est nous
— nous qui avons applaudi lorsque, après Sadowa, on a dit que c'était le maître d'école qui avait vaincu l'Autriche — c'est nous qui laisserions nos instituteurs dans le délabrement et la misère !
Quoi ! Ce n'est pas assez que nos écoles manquent de bibliothèques, de cartes géographiques,
des plus élémentaires instruments de sciences, nous laisserions encore nos maîtres d'école avec un traitement
qui ne leur donne pas même le pain quotidien !
À cet égard, nous provoquons l'étonnement de l'Europe :
il faut aller jusqu'en Espagne pour rencontrer un personnel d'enseignement aussi maltraité que le nôtre.
En Suisse, en Hollande, en Suède, en Belgique, le traitement minimum de l'instituteur
est de 1,600 à 2,400 francs par an ;
en Angleterre, le revenu d'un instituteur est de 100 livres, c'est-à-dire 2,600 francs...
La proposition de M. Maurice qui doit être prochainement discutée, a pour but d'améliorer
l'état actuel de nos instituteurs.
Voici les dispositions principales du projet de la commission, dont M. Ernoul est rapporteur, et qui a obtenu le bénéfice de la déclaration d'urgence.
Le maximum du traitement serait porté de 700 à 900 fr., et il pourrait même s'élever à 1,000 fr.,
en cas d'obtention d'un brevet de mérite.
Vingt-cinq ans suffiraient au lieu de trente pour donner droit à la retraite, qui pourrait être accordée,
non plus seulement à soixante ans d'âge, mais à cinquante-cinq ans.
On calcule que l'augmentation de dépenses résultant de ces dispositions serait de près de 7 millions et demi,
que la commission propose de couvrir de la manière suivante : plus de 2 millions,
provenant des centimes additionnels affectés à l'instruction primaire, et qui, d'après la commission,
sont actuellement détournés de leur destination légale, seraient désormais appliqués exclusivement
au traitement des instituteurs.
En même temps, on se procurerait 4,140,000 francs par création de deux centimes additionnels,
l'un communal, l'autre départemental.
Le ministre des finances et la commission du budget s'opposent, dit-on, à l'addition de ces deux centimes.
Mais comme ils sont d'accord sur le principe de la proposition Maurice avec la commission qui soutient
cette proposition, la divergence d'opinion ne porterait que sur la question des voies et moyens.
Il faut espérer qu'on se mettra d'accord, et cela sans aucun retard.