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Fenêtres sur le passé

1874

Le paysan breton et la Royauté

Source : Le Finistère juillet 1874

 

Le Paysan breton et la Royauté

 

Avant la réunion de la Bretagne à la France, le paysan breton vivait d'une manière relativement heureuse,

sous l'administration paternelle de ses ducs ;

mais une fois la réunion opérée et Anne de Bretagne descendue dans la tombe, notre pays subit,

non sans protester souvent, le sort des habitants du reste de la France.

 

Pendant les guerres de la Ligue, le paysan breton eut surtout beaucoup à souffrir,

et il suffit de lire les documents laissés par le chanoine Moreau pour s'en faire une idée.

 

La Bretagne, saccagée à la fois par les gens du roi, les ligueurs, les Espagnols et les Anglais,

fut complètement ruinée et même presque dépeuplée.

 

D'après le chanoine Moreau, les loups et les brigands furent pendant plusieurs années

les vrais maîtres de tout le pays.

 

Henri IV et son ministre Sully, prirent d'excellentes mesures qui, en Bretagne surtout, eurent un plein succès,

ils comprirent que la liberté du commerce était le meilleur remède à appliquer à un pays aussi dévasté.

 

Grâce à ce régime, la Bretagne en peu d’années devint la pourvoyeuse de blé de l'Angleterre,

et le paysan breton, stimulé par les gros bénéfices qu'il retirait de ses céréales, fit de tels efforts,

que sous le règne de Louis XIII, la Bretagne pût jouir d'une prospérité qu'elle n'avait encore jamais connue.

 

En peu d'années, la presqu'île Bretonne fut couverte de céréales ;

tout ce qui ne put être remué avec le soc de la charrue fut attaqué par le feu ou par les écobues.

Colbert1666.jpg

Portrait de Colbert

par Philippe de Champaigne (1655), 

Metropolitan Museum of Art

 

Les traces des sillons de cette époque se voient encore de nos jours sur presque toutes nos grandes landes, aujourd'hui abandonnées, et qui sont retournées à l'état primitif, la bruyère.

 

Ce n'était certes pas de la culture améliorée, comme on l'entend aujourd'hui, mais c'était de la culture très lucrative,

et qui fut devenue de la culture permanente, si Louis XIV et Louis XV n'étaient venus par des lois maudites et l'énormité des subsides imposés apporter la plus profonde misère là, où avant eux, régnait la prospérité et le bonheur.

 

En effet, Colbert avait une idée fixe à laquelle il n'hésita pas à sacrifier l'agriculture entière de la France.

 

Il voulut créer des manufactures dont les produits pussent lutter sur tous les marchés avec ceux de l'Angleterre et de la Hollande.

 

Pour arriver à son but, il voulut que le pain et les vivres fussent à très bas prix pour l'ouvrier des villes, afin que les salaires fussent aussi très bas.

 

C'est alors qu'il fit rendre deux décrets ;

l'un qui prohibait la sortie des céréales du royaume, l'autre qui défendait la transportation d'une province à une autre.

 

Par ces deux décrets qui dépassaient complètement le but à atteindre, Colbert agissait comme un charlatan qui au lieu d'arracher une dent dont le patient souffre, lui enlève presque toute la mâchoire.

 

Ces deux décrets de Colbert eurent un effet désastreux immédiat, et dix ans après, plus des 8/10e  des terres ensemencées sous Louis XIII furent laissées en friche et la famine fut affreuse à la première mauvaise récolte.

 

En effet, le paysan ne pouvant plus vendre son blé aux Anglais, réduisit ses emblavures au stricte nécessaire de la consommation ;

les blés tombèrent à des prix tellement bas, qu'il y avait perte à les cultiver ;

mais aussi quand les mauvaises récoltes arrivèrent, tout le monde fut pris au dépourvu, et des centaines de mille de créatures humaines périrent de faim,comme l'attestent Labruyère, Vauban, Massillon.

Charles d Albert d Ailly Duc de Chaulnes

Charles d Albert d'Ailly

Duc de Chaulnes

Nanteuil

 

Les états généraux des provinces, et particulièrement les états de Bretagne ne cessèrent de protester et de réclamer ;

mais on avait d'excellentes raisons à Versailles pour ne pas les écouter ;

c'est que si la prohibition d'exporter les céréales existait pour le peuple, elle n'existait pas pour les grands seigneurs, qui, par la protection des grandes maîtresses de Versailles, obtenaient des privilèges pour l'exportation.

 

Or, comme ils n'avaient pas avantage à user de leur privilège lorsque les blés étaient à bas prix, c'était toujours dans les années de disette que les vautours de Versailles s'abattaient sur la province pour décupler les horreurs de la famine.

 

Si l'on doute de ce que nous avançons, qu'on lise les Doléances adressées à Versailles par les États de Bretagne en 1757, sous Louis XV, et l'on sera édifié.

Mais avant de parler de Louis XV, voyons comme le grand roi Louis XIV arrangeait nos paysans bretons.

En 1675, il avait envoyé en Bretagne M. de Chaulnes pour mettre à la raison les paysans qui ne pouvaient pas payer les subsides.

Madame de Sévigné.jpg

Marie de Rabutin-Chantal,

connue comme la marquise

Madame de Sévigné,

Née le 5 février 1626 à Paris, 

Morte le 17 avril 1696 

au château de Grignan (Drôme).

 

Madame de Sévigné qui habitait en ce moment sa terre des Rochers, près Vitré, écrit ceci :

Le 21 septembre 1675.

« On a pris dans les champs 40 ou 50 paysans, on les a tous pendus ...

Ils ont demandé à boire et du tabac, puis qu'on eût à se dépêcher. »

 

Le 16 octobre 1675, elle écrit encore :

« De Chaulnes a transféré le parlement à Vannes ; c'est une désolation et une ruine pour Rennes. »

 

Le 20 du même mois, elle écrit encore :

« On a pris à l'aventure 25 ou 30 paysans que l'on va pendre de suite. »

 

Puis :

« On a chassé et banni tous les habitants d'une rue, avec défense, sous peine de mort, de recueillir personne, de sorte qu'on voyait de misérables femmes, accouchées la veille, des vieillards et des enfants errer en pleurs par la ville,

sans pain et sans gite. »

Voilà comme les paysans et le bon peuple de Bretagne ont été traités par Louis XIV,

que l'on appelle le plus illustre des Bourbons ou le roi Soleil.

Sous son successeur, Louis XV, le paysan Breton ne fut pas mieux traité ;

les fameux traités de Colbert furent maintenus, prohibition d'exporter les céréales,

continuation de misères avec alternative de la famine pour la Bretagne.

 

Cependant les États continuaient à réclamer et même à protester ;

les membres du clergé des évêchés de Quimper et de Léon, qui furent députés aux États de Bretagne en 1857,

se firent remarquer entre tous par la vivacité de leurs doléances à Rennes ;

il y avait entre autres, un sieur Podeur, recteur de Commana, et un sieur Royou, recteur de Trébivan, prés Carhaix,

qui n'étaient pas contents du tout, et qui présentèrent à Rennes des mémoires tellement vigoureux

contre les abus de Versailles, que l'Assemblée des États, tout en étant d'accord avec eux,

refusa d'en inscrire les termes dans les procès-verbaux.

 

Il est vrai que les braves curés combattaient aussi en cette circonstance pour leur cause particulière ;

car, du moment où les lois empêchaient la culture des céréales, la dîme ne rendait plus rien,

et le peu qu'elle rendait était quelquefois invendable.

 

Le recteur Podeur disait :

« La misère des paysans dans le Léon est extrême et ne fera que s'accroître, car ils sont découragés ;

ne pouvant vendre leurs blés, ils n'en sèment presque plus. »

 

Le recteur Royou, de Carhaix, s'élève avec vigueur contre l'exagération des subsides,

contre l'avidité des gens d'affaires des seigneurs, qui remplissent leurs poches aux dépens des pauvres paysans.

 

Il s'élève surtout contre les privilèges d'exportation que de grands seigneurs arrachent par faveur

ou par importunité au Roi, même dans les temps de famine générale.

 

Les prohibitions d'exportation rendent le laboureur presque insensible sur la bonté de ses récoltes ;

mais l'injustice et les privilèges accordés aux agents des grands seigneurs le révoltent.

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Procès-verbaux des États de Bretagne

1757

 

Enfin, en 1757, un M. Rollier, membre des États pour Rennes, déclare que dans la paroisse de Moncontour, près Rennes, les habitants manquent presque tous de nourriture et de vêtements.

 

En résumé, on voit que, sous les ducs,le paysan breton ne fut pas trop malheureux ;

que les guerres de la ligue le ruinèrent complètement ;

que, sous Henri IV et Louis XIII, grâce à Sully et à la liberté du commerce des céréales, il obtint une assez grande prospérité ; mais aussi, que Louis XIV et Louis XV lui firent payer par plus de cent ans de misère, les quelques années

dont il avait joui sous une partie des règnes précédents.

 

La corde et la misère sont donc les tristes titres que les Bourbons d'autrefois ont transmis aux Bourbons d'aujourd'hui pour les recommander aux suffrages des cultivateurs Bretons.

 

Au milieu de toutes les infamies que nous venons de rapporter, d'après les témoignages les plus autorisés,

il est consolant de voir que les États de Bretagne aussi bien que les parlements n'ont jamais eu un moment

de faiblesse, et que les menaces de la bastille ne les empêchèrent point de protester en toute occasion.

 

Aussi, Louis XV, ne pouvant parvenir à faire enregistrer aux États et aux parlements

ce qu'en Bretagne on considérait comme des infamies, fit ce que les Bourbons ont toujours fait,

il chassa les États et les parlements pour gouverner et lever des impôts selon son bon plaisir.

 

Si les paysans bretons ont le droit de maudire la mémoire des oppresseurs de leurs ancêtres,

ils ont aussi le devoir de bénir celle des membres des États de Bretagne

qui partout prirent la défense de leurs intérêts,

et qui fondèrent à Rennes la première société d'agriculture qui ait fonctionné en Europe.

 

Voici leurs noms inscrits dans les procès-verbaux des États de Bretagne en 1757 :

 

Évêché de Rennes.

MM. de Nevet ; du Sel ; Abeille, pour Rennes.

MM. des Nétumières ; Rallier, pour Vitré.

M. de Montigny, pour Fougères.

 

Évêché de Nantes.

MM. l'abbé Ramaceul ; Monteaudouin ; de la Biliais; Sénicourt-Grou ; de Premion ; de Pont-Neuf, pour le Croisic.

 

Évêché de Vannes.

MM. l'abbé de Pontual ; La Chapelle ; du Bodan, pour Vannes.

M. Perron, pour Port-Louis.

M. de Berthou, pour Guemené.

M. de Kermarec, pour Auray.

 

Évêché de Quimper.

M. l'abbé Royou, recteur de Trébivan, pour Carhaix.

MM. de Penfeuntenyo ; de Silguy, pour Pont-l'Abbé.

M. de Kerlivio, pour Quimper.

M, Poulgoazec, pour Audierne.

M. Chardon, pour Locronan.

 

Évêché de Saint-Malo.

MM. l'abbé Thé. du Châtellier ; de Pontual ; Becard ; de la Guimerais, pour Saint-Malo.

M. de Coatpeur, pour Rennes.

M. de Bruc, pour Braus.

 

Évêché de Dol.

MM. de Mont-Louët ; des Rieux ; de la Cornillère, pour Dol.

M. de Grénédan, pour Rennes.

M. de Rouvre, pour Saint-Malo.

M, Beaudouin, pour Châteauneuf.

 

Évêché de Saint-Brieuc.

MM. Chanoine Rabet ; de La Salle de Mée, pour Saint-Brieuc.

M. de Tramin, pour Lamballe.

MM. de Digaulraie ; Botridoux, pour Quintin.

M. Armez-du-Pourpry, pour Pontrieux.

 

Évêché de Tréguier.

MM. l'abbé du Lézard ; de Cillart, pour Tréguier.

M. l'abbé Lâtouche ; Marzin, pour Morlaix.

M. de Kergariou, pour Lannion.

M. de Portville, pour Guingamp.

 

Evéché de Léon.

M. l'abbé de Courson, recteur de Plouider.

M l'abbé Podeur, recteur de Commana.

MM. de Coatanscour ; Mazurier ; de Kermabon, pour Roscoff.

M. Dausmenil, pour Morlaix.

 

Le 25 février 1757,

les premiers dignitaires du parlement sollicitèrent l'honneur de siéger dans cette société,

ce qui fut agréé par les États.

 

C'étaient :

MM. de la Chalotais, d'Amilly ;

premier président, de Montluc, de Mont-Boucher,

le duc de Rohan, (gouverneur),

l'évêque de Rennes.

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