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Fenêtres sur le passé

1874

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Situation agricole devant l'abondante récolte de 1874

Source : Le Finistère novembre 1874

 

REVUE AGRICOLE

 

Situation agricole devant l'abondante récolte de 1874.

 

Aujourd'hui que tous les produits du sol sont engrangés, on peut apprécier avec une certaine exactitude

les résultats de la récolte de 1874, qui certainement sera classée au nombre des plus fortes de ce siècle.

 

En effet, de tous les produits du sol français (et ils sont nombreux) il n'y en a qu'un seul qui offre une récolte

au-dessous d'une année moyenne, c'est l'avoine dont nous reparlerons plus loin.

 

Aussi, sur tous les marchés, les produits agricoles ont subi une telle baisse que déjà certains journaux agricoles

ont poussé des cris d'alarme et sont allés jusqu'à qualifier la récolte de 1874 de désastreuse pour les cultivateurs.

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En effet, le froment qui, au mois de mars dernier, valait 36 à 37 francs

les 100 kilos, ne vaut plus en ce moment que 25 francs, soit plus de 12 francs de baisse par sac de blé depuis six mois, et personne ne peut certifier

que la baisse ait dit son dernier mot.

 

Sans voir les choses aussi en noir, nous reconnaissons qu'il se passe cependant en ce moment dans le commerce des blés un fait tout-à-fait anormal

et inquiétant pour les producteurs de notre pays.

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Pissaro

Ce fait le voici, c'est qu'au moment où partout en France et en Europe le prix du blé a subi une énorme dépression

les arrivages de blé étranger continuent à Marseille et dans nos ports absolument

comme si la disette était à nos portes.

 

Ainsi du 21 au 23 octobre dernier, il est arrivé à Marseille cent dix mille quintaux de blé venant de Russie

et dans les autres ports 152,000 quintaux venant d'Amérique.

 

D'un autre côté, l'Angleterre a eu une bonne récolte et elle est bondée de blés importés,

à tel point que les fermiers de ce pays ne trouvant pas les prix actuels assez rémunérateurs,

ont commencé à faire consommer leur récolte à leurs animaux, à l'engrais.

 

Si les arrivages de blés étrangers continuent dans nos ports, la position des producteurs français deviendrait effectivement très-inquiétante ; car, ne trouvant pas à exporter le trop plein qui existe en France,

il y aurait nécessairement une nouvelle baisse, qui cette fois serait vraiment désastreuse.

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Aujourd'hui, grâce à la statistique et aux documents fournis

par les douanes et le commerce, on est parfaitement fixé

sur les besoins de la France ;

il faut de 80 à 85 millions d'hectolitres de blé pour sa consommation annuelle :

soit un peu plus de 2 hectolitres par habitant.

 

Une récolte moyenne donne en France environ 85 millions d'hectolitres ; or, comme la récolte de 1874 a été exceptionnellement productive, on pense généralement

quelle dépasse 100 millions d'hectolitres.

 

Nous avons donc un trop plein du 15 à 20 millions d'hectolitres

qui vont rester sur des bras des producteurs si les arrivages continuent dans la même proportion.

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Jean-François_Millet_-_The_Potato_Harves

Jean François Millet

20 millions d'hectolitres, ce n'est pas une petite affaire, car à 20 fr. l'hectolitre, cela fait une somme de 400 millions

de francs, qui par ce temps des lourds impôts ne feraient pas de chagrin à la bourse de nos cultivateurs.

 

Nous avons jeté un coup-d’ œil d'ensemble sur la situation agricole de la France, pour la fin de l'année 1874 ;

nous allons maintenant examiner la question au point de vue de la Bretagne et du Finistère.

 

On sait qu'en Bretagne, les principales récoltes sont, par ordre d'importance, les suivantes :

Le froment, le seigle, l'avoine, le sarrasin, les pommes de terre, l'orge, le cidre.

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La récolte a été excellente dans toute la Bretagne, tant sous le rapport de la quantité que sous celui de la qualité ;

mais comme cette céréale n'a presque rien produit dans le reste de la France, on peut dire que l'exportation de cette denrée sera la providence du fermier breton en 1874.

 

En effet, sur le marché de Paris, l'avoine se vend en ce moment 24 francs les 100 kilos,

tandis que le froment a de la peine à se maintenir au cours de 25 francs.

 

Or, si l'on tient compte du déchet considérable que subit l'avoine en cas de mouture, on voit qu'en réalité,

la farine d'avoine est plus chère que la farine de froment blutée au même titre.

 

Jamais on n’avait vu un fait si anormal se produire en France.

 

Il résulte de ce fait, que nos cultivateurs bretons ont le plus grand intérêt à vendre toute leur récolte d'avoine

et à consommer plus de seigle et même plus de froment.

 

Remplacer l'antique usage de la bouillie d'avoine par le régime du bon pain blanc,

serait toute une révolution en Bretagne ;

nous ne saurions affirmer que toutes nos ménagères l'accepteront ; beaucoup diront : ça n'est pas l'usage !

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Le sarrasin n'a pas donné une forte récolte; elle reste au-dessous d'une année moyenne, aussi, les prix de cette céréale

se soutiennent assez bien.

 

Les pommes de terre ont fourni une excellente récolte,

qui dépasse d'un quart les années moyennes.

 

Mais comme l'Angleterre et l'Irlande n'ont qu'une médiocre récolte, l'exportation pour ces pays nous débarrassera facilement

du trop plein.

 

Leon Augustin Lhermitte - Harvest 1874

Léon Augustin Lhermitte

L'orge aussi a donné une bonne récolte, et l'exportation aidant, les prix se soutiennent assez bien.

 

Quant au cidre, la récolte n'a pas donné ce qu'elle promettait ; le coup de vent de septembre en renversant les pommiers et abattant les pommes avant maturité, a fait un tort considérable, tant pour la quantité que pour la qualité.

 

Aussi le prix du bon cidre tend-il chaque jour à s'élever.

 

En résumé, nous pensons qu'a la fin de l'année 1874, la situation du cultivateur breton est bonne ;

car, si le prix du froment a cessé d'être rémunérateur, il encaissera une plus-value considérable sur les prix de l'avoine, des pommes de terre et de l'orge ; pour peu que le commerce des bestiaux reprenne de l'activité,

il conservera un bon souvenir de son année.

 

Tout au contraire, le cultivateur des grandes plaines de blé du centre maudit déjà la récolte de 1874

et il a de bonnes raisons pour cela.

 

En effet, dans la Beauce, le cultivateur n'a que trois cordes à son arc, le froment, l'avoine et les moutons.

 

Or, l'avoine ayant manqué, le froment étant tombé à des prix trop bas pour être rémunérateurs,

Il ne lui reste que le produit de ses moutons pour faire de l'argent.

 

Voilà pourquoi 1874 ne lui va pas.

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