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Fenêtres sur le passé

1871

Une simple excursion dans la Finistère

Source : l’Électeur du Finistère octobre 1871

 

Une simple excursion dans le Finistère.

 

Le département du Finistère est chaque année, au renouveau, envahi par une véritable armée de touristes

qui viennent échanger le tumulte des affaires, le bruit des grandes cités contre le doux farniente

des bords de l'Océan.

 

Il était donc indispensable de les piloter à travers les méandres d'une région dans laquelle l'entrecroisement, l'embranchement multiple des routes qui se ramifient à l'infini sont de nature à décourager et à déconcerter

le voyageur le plus intrépide.

 

Certes, je ne voudrais nullement calomnier les brochures qui ont été publiées, pour faire de la réclame

au profit de celle qui paraît aujourd'hui, et qui est signée de M. Riou, que je confesse ne pas connaitre.

 

Je suis très désintéressé dans la question, et d'autant plus libre dans la critique de son œuvre comme de toutes

celles qui l'ont précédée, et cependant je crains de froisser la modestie de l'auteur, en affirmant que son livre

me semble dépasser ses rivaux pour la science du sujet et la supériorité des connaissances pratiques

qui y figurent sans fracas, sans prétention, et avec une sobriété de style très extraordinaire pour notre époque.

 

Il aborde de hautes questions de géologie, d'anthropomorphisme ;

on voit, par l'aisance de ses explications, l'étendue et la variété de ses nomenclatures,

qu'il travaille dans une atmosphère habituelle.

C'est à ces différents critérium que l’on reconnaît le vrai savant,

qui ne fait pas étalage de ce qu'il sait, mais qui en parle facilement

et se met au niveau de tous ceux qui l'écoutent ou qui le lisent.

 

Il intitule son livre « Une simple excursion dans le Finistère » ;

pure modestie, car si nous l'ouvrons, nous apprendrons bientôt quelle est la flore de Porspoder, quelle est la nature du sol et des roches énormes de Penfeld

et de Guilers, dont la solidité oppose une barrière infranchissable aux périodiques assauts de l'Océan ?

 

M. Riou n'est pas non plus étranger aux questions d'architecture, et les différents calvaires qui remontent à des époques bien éloignées de nous, y sont décrits

avec une véritable passion d'artiste et une émotion qui nous touche.

 

Toutes ces connaissances scientifiques sont encadrées dans de petits tableaux tout-à-fait riants et comme imprégnés d'une mélancolie qui n'est nullement factice et d'un parfum sui generis, que reconnaîtront tous ceux qui, comme nous, ont parcouru ce pays si pittoresque.

 

M Riou n'oublie rien, et nous lui savons gré de ressusciter ces vieilles légendes recueillies dans les chaumières et racontées à la veillée ;

car les anciens usages ne sont pas encore démodés dans le Finistère,

et quoique la civilisation déborde sur lui, il conserve malgré tout une physionomie qui en fait le charme et l'étrangeté !

 

C'est sous ce point de vue poétique et romanesque

qu'Émile Souvestre avait envisagé la Bretagne ;

mais c'est un Cicérone bien fantastique et capable d'égarer ;

l'intelligent écrivain observe le panorama et note toutes les impressions

qui lui traversent l'esprit, il s'écoute trop penser ou plutôt rêver.

 

D'autres publicistes ne se sont occupés que de bien calculer des distances, d'indiquer exactement le menu des dîners d'auberges,

et rapetissent leur livre aux proportions exiguës d'un guide Joanne.

 

Le livre de M. Riou, sans prétendre à une valeur littéraire considérable,

a un mérite indiscutable, c'est de remplir son but, ce qui est assez rare,

car il est difficile de dompter son imagination, et la folle du logis est bien souvent sourde aux objurgations de la raison et du bon goût qui voudraient lui imprimer une sage direction incompatible avec son humeur dissipée et folâtre.

 

C. PÉRIGNON

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Charles Émile Souvestre,

né le 15 avril 1806 à Morlaix

mort le 5 juillet 1854 à Montmorency.

Avocat, journaliste et écrivain français.

Son œuvre abondante traite de sujets variés, notamment, sous forme de récits documentaires ou de fiction, de l'ethnographie de la Bretagne.

Il a ainsi contribué, sous la Monarchie de Juillet, à la formation d'une image littéraire et politique de cette région.

 

Photo : Émile Souvestre (1838,

musée des beaux-arts de Morlaix)

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